L'élite hors la loi

Traduire l'élite en justice créerait sans doute des tensions, mais je suis d'avis que le prix à payer pour ne pas les juger est bien plus élevé encore.

Quand spéculer avec l'argent public devient-il un crime?




Nicolas Bérubé La Presse - Dans son nouveau livre, With Liberties and Justice for Some, l'avocat et commentateur politique américain Glenn Greenwald affirme que, depuis l'ère Nixon, les riches et les puissants peuvent enfreindre la loi en toute impunité aux États-Unis. Selon lui, il y a longtemps que l'administration Obama a adopté cette pratique.
Q: Dans votre livre, vous avancez que l'élite financière et politique des États-Unis n'a pas à respecter la loi. Sur quoi fondez-vous cette observation?
R: Je crois que l'élite a toujours eu un traitement particulier. Cela dit, c'est le pardon accordé à Nixon par le président Ford, en 1974, qui a créé les fondements de l'ère moderne de l'iniquité. Si c'est trop «dérangeant» et «controversé» de juger un politicien ou un dirigeant d'entreprise qui a commis un crime, on renonce à le faire. On décide de «regarder vers l'avenir». Cet euphémisme ne fonctionne que lorsqu'il est question de crimes commis par l'élite. Les gens ordinaires ne bénéficient pas de ce passe-droit. Dans leur cas, la loi est appliquée à la lettre... Traduire l'élite en justice créerait sans doute des tensions, mais je suis d'avis que le prix à payer pour ne pas les juger est bien plus élevé encore.
Q: Vous écrivez que la pratique a connu un essor jamais vu durant l'administration de George W. Bush.
R Depuis 10 ans, l'élite est essentiellement à l'abri des poursuites. On l'a vu avec l'usage de la torture par l'armée américaine. Par l'écoute électronique de la population américaine menée par les entreprises de télécommunication, sans mandat. Par la fraude perpétrée par Wall Street, qui a culminé avec le krach de 2008 et qui a provoqué une souffrance inouïe dans le monde. Ce sont là des crimes d'une nature incroyable qui demeurent impunis.
Q: Selon vous, ce qui s'est passé en 2008 est le résultat d'un crime?
R: Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Alan Greenspan. Interrogé par le Congrès, l'ancien président de la Fed a dit que la débâcle des subprimes avait été causée par «de la fraude pure et simple». Si je suis bijoutier et que je vends des colliers en zircon en prétendant qu'il s'agit de diamants, je commets une fraude. C'est très simple à comprendre, c'est un crime. Les géants financiers ont utilisé la même stratégie pour vendre des produits financiers toxiques aux investisseurs. C'est de la fraude. Mais l'élite financière contrôle les dons politiques, et les politiciens ne sont pas prêts à faire appliquer la loi contre des gens qui les financent. C'est valide autant pour les républicains que pour les démocrates.
Q: Barack Obama avait promis de changer les règles du jeu et de couper les liens avec Wall Street...
R: M. Obama n'a pas cherché à enquêter sur la crise de 2008, sur les agissements d'AIG ou de Goldman Sachs, comme il n'a pas cherché à enquêter sur les abus commis sous George W. Bush ou sur l'écoute électronique illégale des citoyens, car il veut «regarder vers l'avenir», exactement comme le président Ford. En 2008, Obama a mené une campagne publicitaire brillante. Il a réussi à motiver des centaines de milliers de personnes désabusées par le système politique et à les transformer en donateurs et en bénévoles. Mais durant toute sa carrière, Barack Obama a eu du succès en satisfaisant les gens au pouvoir. C'est une formule qu'il applique de nouveau à sa présidence, notamment en ne faisant rien pour attaquer les intérêts de l'élite de Wall Street. Je crois que la présidence d'Obama a causé encore plus de désabusement chez les gens qui l'ont appuyé.
Q: Que pensez-vous du mouvement Occupy Wall Street?
R: Le mouvement est une réaction au fait que le changement ne viendra pas du processus politique, des démocrates ou des républicains. Le changement viendra de l'extérieur, de la rue. En choisissant de satisfaire l'élite, de voter des lois et des mesures qui l'avantagent, les politiciens ont perdu contact avec la réalité des électeurs. C'est un constat que font de plus en plus de gens, à mon avis, et ce n'est pas terminé.


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