La presse britannique est quelque peu déchaînée en ce moment au sujet des avancées rapides de l'Écosse vers l'"indépendance". Le mois dernier, un sondage du Sunday Telegraph de Londres, journal de droite, a prétendu démontrer que 51% des Écossais désiraient l'indépendance. Plus étonnant, selon le même sondage, 59 % des Anglais voulaient aussi que l'Écosse devienne indépendante !
Pour illustrer la rivalité entre les deux pays, le Herald de Glasgow a publié une caricature qui ajoutait une troisième statistique, celle-là inventée : seulement 12 % des Écossais désirent la souveraineté de leur nation si les Anglais la souhaitent également !
Les Écossais aussi sont "différents"
Devons-nous prendre tout cela au sérieux ? L'Union britannique est-elle au bord de la dislocation ? Avant que les Canadiens ne commencent à nous envoyer des colis de nourriture, une mise en garde est nécessaire. D'abord, cette frénésie est presque entièrement limitée aux médias anglais (c'est-à-dire londoniens). Ils semblent s'être aperçus, tout d'un coup, (comme cela leur arrive périodiquement), que les Écossais sont "différents". Pour nous, partager le lit avec l'éléphant anglais (la vieille métaphore de Trudeau réapparaît...) a toujours été un moindre mal.
Qu'est-ce qui a provoqué la situation actuelle ? Il faut d'abord jeter un coup d'oeil du côté de la lutte à la succession de Tony Blair au poste de premier ministre. Le favori est son ministre des Finances, Gordon Brown, un Écossais. Et alors ?
Depuis 1999, l'Écosse a un Parlement autonome qui a le pouvoir de voter des lois à l'intérieur du Royaume-Uni. Ce Parlement jouit d'un contrôle important sur les affaires intérieures (mais, il faut le noter, moins de pouvoirs que n'en a l'Assemblée nationale du Québec).
Un Écossais à la place de Blair ?
Cela signifie que les députés écossais qui siègent à la Chambre des communes de Londres peuvent voter sur des questions purement anglaises (comme la santé et l'éducation), mais non sur celles qui affectent directement leurs propres électeurs. Cette anomalie a été baptisée "le problème de West Lothian", d'après le nom de la circonscription du député qui a tenté de saboter la décentralisation dans les années 1970. Comme l'écart entre les partis anglais diminue, le vote des députés écossais prend davantage d'importance. Le problème deviendrait particulièrement épineux si M. Brown devenait premier ministre. Lui, un Écossais !
Il y a aussi le fait que des élections au Parlement écossais auront lieu en mai 2007. Les journaux adorent les prises de bec politiques (en particulier s'ils perdent des parts de marché, comme c'est actuellement le cas de plusieurs d'entre eux). Ce scrutin mettra en présence le Parti travailliste, qui est au pouvoir en coalition avec les libéraux démocrates centristes depuis 1999, et son principal rival, le Scottish National Party (SNP), aussi du centre gauche, qui prône l'indépendance de l'Écosse. La (longue) campagne électorale est commencée. On peut l'affirmer, parce que le ministre de l'Intérieur du Royaume-Uni, l'Écossais John Reid, a prédit que la victoire du SNP ferait le bonheur d'Al-Qaeda ! Difficile à suivre ? C'est normal, c'est de la politique !
Un référendum ?
Le SNP gagnera-t-il ? Fera-t-il l'indépendance ? Sinon demain, ou le jour d'après ? Deux obstacles importants bloquent le chemin. D'abord, avec le système de la représentation proportionnelle, il serait très étonnant que le SNP remporte une majorité de sièges au parlement. S'il réalisait une bonne performance et obtenait, disons, 40 des 129 sièges de l'assemblée (il en a présentement 25, la moitié moins que le Labour), il devrait former une coalition avec un autre parti, possiblement les libéraux démocrates (qui sont opposés à un référendum sur l'indépendance) et le petit Parti vert (qui ne l'est pas).
Ensuite, il y a la question du référendum. Les Canadiens et le PQ savent qu'il ne suffit pas d'en tenir un pour obtenir le résultat souhaité ; beaucoup trop d'autres facteurs entrent en ligne de compte. Ce sera d'autant plus vrai dans le cas du SNP, qui n'a encore jamais formé de gouvernement.
Les sondages révèlent bel et bien que les Écossais souhaitent l'indépendance. Toutefois, quand vient le temps d'estimer le nombre de sièges au Parlement, les sondages sont des instruments imprécis, surtout dans un système de représentation proportionnelle. Le résultat probable ? Le SNP deviendra peut-être - peut-être - le principal parti d'Écosse, surpassant pour la première fois le Labour.
Élections historiques
Il s'agira donc d'élections historiques. L'Écosse a joint l'Union britannique il y a exactement 300 ans pour former le Royaume-Uni. Le SNP adorerait annoncer le départ de l'Écosse au moment précis où le Royaume-Uni célèbre cet anniversaire. Cela se produira-t-il ? C'est possible, mais ce serait le début d'un long processus. Le SNP est porté par une économie dans laquelle un baril de brut de la mer du Nord se vend 63 $. Le parti indépendantiste soutient depuis longtemps que ce pétrole appartient à l'Écosse. En somme, ce parti s'intéresse plus à l'économie qu'au patrimoine culturel. Il est dirigé par un ancien banquier, Alex Salmond, et non par un poète. Salmond est d'ailleurs un politicien phénoménal.
Mais que dire de cette proportion de 59 % d'Anglais qui veulent voir l'Écosse quitter l'Union ? En vérité, plusieurs d'entre eux ne savent peut-être pas ce que cela veut dire. L'Écosse est déjà autonome, possède son propre système légal, sa monnaie, son parlement. Bon nombre d'Anglais pensent probablement que nous sommes déjà indépendants ; l'Écosse est en effet un pays lointain dont ils savent peu de choses.
La politique écossaise - et britannique - est brusquement redevenue intéressante !
David McCrone, professeur* de sociologie à l'Université d'Édimbourg, Écosse
*L'auteur a publié plusieurs ouvrages sur le nationalisme écossais.
L'Écosse indépendante... les Anglais d'accord
Par David McCrone
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