L'e$prit à la fête

Québec 2008 - l'art de détourner le sens la Fête

On s'en serait douté. Le passage de Paul McCartney, ou de Sir Paul, comme
l'ont répété ad nauseam nos médias médusés, sert bien d'autres intérêts
encore que ceux de l'amour de la musique...
Pour la ville de Québec, comme l'aurait dit le maire Drapeau, elle se voit
enfin mise "sur la map"! Elle pourra attirer à l'avenir d'autres gros noms
qui, sans la venue de l'ex-Beatle, auraient survolé la Capitale pour
atterrir presto à Montréal. Son industrie touristique en a pour des années
de belles retombées économiques. Bref, Québec, comme toute ville
normalement constituée, saute sur une occasion en or pour bonifier sa
visibilité et ses revenus.
Pour Régis Labeaume (le maire à qui le mot "histoire" donne de
l'urticaire), la récolte politique s'annonce également fort belle. Combien
vous pariez que le mégacoup publicitaire de ce concert aidera à sa
réélection? Quant à la Société du 400e, on devine qu'elle compte sur le
souvenir des beaux yeux de Sir Paul pour faire oublier sa longue enfilade
de ratés et nous faire moins remarquer un 400e plus ou moins vidé de sa
substance historique.
Car s'il y a une chose que les futurs historiens noteront, c'est à quel
point les notables municipaux, provinciaux et fédéraux auront accouché
d'une programmation fort jolie, mais trop souvent déconnectée du sens même
du 400e. Parions qu'ils se gratteront aussi l'occiput devant ce logo
officiel rose magenta...
Ils nous l'auront répété à satiété. Pour le maire et la Société, le but
est d'avoir du fun, d'être cool et d'avoir l'esprit FESTIF. Comme si "fête"
et "commémoration historique" devaient s'exclure l'une l'autre. Lorsque, en
1976, les États-Uniens ont "fêté" le bicentenaire de leur révolution, ils
ont pourtant su marier la fête, les "grosses vedettes" et la pédagogie
historique. Mais ici, trop de "sens" dérange. Comme le disait Daniel
Gélinas, président de la Société du 400e, l'important est aussi que ce
concert permette aux gens de Québec d'avoir un "party de Noël" qui "va être
le fun en ti-ti!".
LE BEATLE AUX ŒUFS D'OR
Les futurs historiens se demanderont sûrement d'où pouvait bien venir
cette réaction de reconnaissance béate pour les quelques mots de français
prononcés par Sir Paul. Comme si l'ex-Beatle avait marché sur les eaux du
Saint-Laurent tel un messie des temps modernes! Pourtant, toute vedette
internationale qui se respecte dit quelques mots dans la langue de son
public. Un peu d'ukrainien à Kiev, un peu d'italien à Rome, etc. On appelle
ça le savoir-vivre. Avec ou sans cette fausse "controverse" sur son
passage, il est évident que Paul McCartney aurait dit quelques mots en
français, comme les Beatles l'ont fait lorsqu'ils ont joué à Paris en 1965.
Mais les historiens se diront peut-être que cette réaction démesurée à un
simple geste de politesse montrait à quel point les Québécois,
contrairement à leurs notables, comprenaient le sens réel du 400e: la
naissance d'un peuple et d'une nouvelle culture de langue française en
Amérique qui, à force de résistance, déboucherait plus tard sur celle de la
nation québécoise. Dommage que les notables n'en aient pas fait leur
message principal face au reste du monde.
Mais il restera toujours la business. Le concert parfaitissime, ayant
coûté près de 5 millions $ en fonds publics, profitera aussi aux diffuseurs
privés auxquels un abonné peut payer 20 $ pour le privilège de le voir dans
son salon. Les contribuables auront beau avoir réglé la facture salée de
Monsieur McCartney - la chose étant normale dans ce contexte -, ils
n'auront même pas droit à une diffusion gratuite! L'insulte est d'autant
plus sentie qu'on ne parle pas ici d'un concert de Barbra Streisand au
Centre Bell payé par des fonds privés, mais d'un "événement" du 400e payé
par les impôts. Faut croire que l'esprit "festif" profite plus à certains
qu'à d'autres.
Et puis, dans la catégorie "chicane de perron d'église", il y aura la plus
bizarroïde des retombées post-McCartney: celle d'une Céline Dion
profondément agacée de se voir maintenant "comparée" à l'ex-Beatle. Il
fallait voir les couteaux lui sortir des yeux lorsqu'un journaliste lui a
demandé si SON spectacle sur les Plaines serait "plus long" que celui de
Sir Paul!
DUR, DUR DE NE PAS ÊTRE UNE BEATLE
La voilà donc, fille prodigue du Québec, SA PLUS GRANDE VEDETTE
INTERNATIONALE, brutalement détrônée par un bel "étranger" à qui une seule
nuit aura suffi pour séduire le Québec tout entier! Pis encore, voilà que
son propre mari en rajoute: "Paul McCartney est dans une classe à part. Il
n'y a personne qui touche à Paul McCartney dans mon livre à moi /sic/. Pas
les Rolling Stones, pas U2, pas Madonna. Et CERTAINEMENT PAS CÉLINE DION!"
La discussion sur l'oreiller n'a pas dû être très douce ce soir-là...
Et pourtant, Céline a bien appris le message officiel du 400e. Lorsqu'on
lui a demandé si elle venait ici le 22 août pour "faire l'histoire", sa
réponse fut du plus pur style Labeaume: "Écoutez! Moi, je ne parle pas
vraiment d'histoire. Je parle de fête!" Évidemment.
Mais j'oubliais. Il n'est plus permis, sans se valoir les pires épithètes,
de trouver Paul McCartney bien bon et d'être bien content pour tout le beau
succès de Québec tout en voulant néanmoins, et d'autre part, débattre de
l'absence de sens historique de ce 400e.
O.K., d'abord! Soyons cool, soyons le fun, soyons festifs! De toute façon,
du moment où même le premier ministre du Québec ajoute sa voix à celle
d'Ottawa pour dire au monde entier que 1608 marque la fondation du Canada,
il est tout à fait normal que le spectacle de Paul McCartney, aussi génial
fut-il, soit le moment le plus marquant de notre 400e...


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