Projet fédéral de commission de valeurs mobilières

L'avis de la Cour suprême sera déterminant

Même sans obligation, Ottawa a l'habitude de se conformer aux décisions du tribunal

AMF - Québec inc. VS Toronto inc.


François Desjardins - Les partis au pouvoir à Ottawa ont toujours respecté les avis constitutionnels produits par la Cour suprême sur les grandes questions, mais absolument rien n'oblige le gouvernement fédéral à s'y conformer, a rappelé hier une ex-juge du plus haut tribunal au pays.
Priée de commenter la dynamique qui opère lorsqu'un gouvernement demande l'avis de la Cour suprême sur la constitutionnalité d'une loi — comme vient de le faire Ottawa avec son projet d'une commission fédérale de valeurs mobilières —, Claire L'Heureux-Dubé a souligné le caractère non exécutoire de la démarche.
«C'est un avis. S'il le veut, un gouvernement fédéral peut complètement l'oublier», a dit lors d'un entretien téléphonique Mme L'Heureux-Dubé, qui a siégé à la Cour suprême de 1987 à 2002. Elle était donc en poste, par exemple, à l'époque où le tribunal a dû se pencher sur l'hypothèse d'une sécession unilatérale du Québec, en 1998.
«Il n'y a pas de sanction expresse, mais ce n'est jamais arrivé, à ma connaissance, que le fédéral ne respecte pas un avis de la Cour suprême. Et ce, même si un avis n'a pas de force exécutoire, a-t-elle ajouté. En ce qui concerne les décisions, il est obligé là aussi, mais disons qu'il y a différentes façons de respecter les choses.»
C'est en mai que le ministre des Finances, Jim Flaherty, a dévoilé son projet d'une commission réglementaire pancanadienne auquel les provinces pourraient adhérer sur une base volontaire. Devant les critiques voulant que cela empiète sur les compétences provinciales, il a immédiatement soumis le projet de loi à la Cour suprême.
Lors d'un entretien en juin, l'expert constitutionnel Henri Brun, sommité reconnue en la matière, a dit que jamais une décision de la Cour suprême n'a fait basculer une compétence provinciale entière entre les mains du fédéral d'un seul coup.
Le Québec et l'Alberta s'y opposent, prétextant que la structure actuelle — composée de 13 agences provinciales et territoriales — est efficace, répond mieux aux spécificités locales et est déjà passablement harmonisée. Ce à quoi M. Flaherty répond que le Canada fait rire de lui et que tous les grands pays ont une agence centrale.
Les deux provinces ont, chacune de leur côté, soumis essentiellement la même question à leur cour d'appel respective.
Argument d'Ottawa
«Le critère qui va être le plus efficace pour le gouvernement fédéral, ce sera celui de l'efficacité, aux fins du bien-être économique du Canada, a dit Mme L'Heureux-Dubé. Je ne suis pas politicienne du tout, mais c'est probablement là-dessus qu'ils vont insister. Je n'ai aucune idée de la façon par laquelle la Cour va trancher.»
Elle a ensuite dit que «personnellement, et non comme juge, je pense que les provinces ont de bons arguments, mais ces questions-là ne sont pas faciles».
Ottawa estime que l'article 91.2 de la Constitution, qui porte sur «le trafic et le commerce», devrait englober les valeurs mobilières. Or celles-ci ont toujours été assimilées à l'article 92.13 portant sur «la propriété et les droits civils», donc de compétence provinciale.
Une des décisions capitales portant sur le pouvoir fédéral en matière de commerce a été produite en 1989. La cause opposait General Motors du Canada à City National Leasing. GM contestait l'article de la Loi fédérale relative aux enquêtes sur les coalitions, qui permettait d'intenter des poursuites, un droit pourtant reconnu aux provinces.
Le tribunal avait confirmé que la Loi relevait bel et bien du fédéral, parce que le droit d'action faisait partie intégrante de la Loi et qu'il n'envahissait que très peu le pouvoir des provinces.
Au coeur de la décision figurait un test de cinq critères pour déterminer la validité d'une loi fédérale. Entre autres, avait écrit le tribunal, «la loi devrait être d'une nature telle que la Constitution n'habiliterait pas les provinces, conjointement ou séparément, à l'adopter». Aussi, «l'omission d'inclure une seule ou plusieurs provinces ou localités dans le système législatif compromettrait l'application de ce système dans d'autres parties du pays».
Il n'est pas impossible, a dit Mme L'Heureux-Dubé, que ce test, s'il était repris par les juges, soit raffiné.


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