Amérique française, Canada français, Québec français, que reste-t-il
de ces vues sur le monde? Les Québécois viennent de loin, de si loin que
leur mémoire oublie l’origine de leurs convictions profondes et des
fondements de leur existence. D’où venons-nous? Qui sommes-nous? Où
allons-nous? Peu de gens se posent encore ces questions. Collectivement,
elles prennent aussi des directions inattendues et contradictoires.
En 1791, lors de la création de l’Acte constitutionnel qui institue
séparément pour le Haut et le Bas-Canada un conseil législatif et une
Assemblée, le premier ministre britannique William Pitt a ces mots :
« Les sujets français se convaincront ainsi que le gouvernement
britannique n’a aucune intention de leur imposer des lois anglaises. Et
alors ils considéreront d’un esprit plus libre l’opération et les
effets des leurs. Ainsi avec le temps, ils adopteront peut-être les
nôtres par conviction. Cela arrivera beaucoup plus probablement que si le
gouvernement entreprenait soudain de soumettre tous les habitants du Canada
à la constitution et aux lois de ce pays. Ce sera l’expérience qui
devra leur enseigner que les lois anglaises sont les meilleures. Mais ce
qu’il faut admettre, c’est qu’ils doivent être gouvernés à leur
satisfaction. » (Tiré de l’excellente Histoire populaire du Québec,
Tome 2, p. 13, de Jacques Lacoursière)
Les germes de l’illusion et de l’utopie sont réunis dans cet extrait.
Ce n’est pas l’intention qui bouleverse autant que la position de
supériorité, l’arrogance de se savoir du bon côté, de réunir tout ce
qu’il faut pour croire que la séduction nous donnera raison. « Un jour,
ces Canayens comprendront ce qui est bon pour eux ». L’illusion de
croire qu’un peuple vieux de 200 ans allait disparaître. Il fallut moins
de 20 ans de parlementarisme tronqué, parsemé de jeux de coulisses, pour
se rendre à l’évidence que « les sujets français » leur en feraient
voir de toutes les couleurs et qu’ils n’avaleraient pas toutes les
couleuvres sans appliquer un certain sens critique et un esprit de liberté
qui n’irait pas dans le sens voulu par Pitt! Les positions
récalcitrantes des Canadiens furent souvent qualifiées d’erreurs de
jugement dues à leur ignorance. Faire valoir leur droit constitutionnel en
assemblée, si cette affirmation n’allait pas dans le sens des intérêts
britanniques, était assimilé à une traîtrise. Quand l’autorité est
royale et que celle-ci émane d’une volonté divine, les jeux de
manœuvre de l’individu sont à toute fin nuls. On recommence des gestes
sans suite véritable.
Bientôt, on préparera le 150e anniversaire du Canada tel qu’on le
connaît. Cette occasion servira de pôle attractif pour relancer le
dialogue entre les deux nations. On peut imaginer ce que la version
fédérale officielle retiendra et omettra dans ce creuset symbolique. Mais
déjà les médias nous informent de positionnements de l’heure. Les
Franco-Ontariens y vont d’une pétition pour qu’Ottawa devienne
bilingue. Couillard rencontra Kathleen Wynne pour un nouveau pacte entre
les deux provinces. Soudain rapprochement né d’un besoin commun : faire
front commun contre Harper. On rejoue l’Acte d’union en quelque sorte.
Mais, il ne sera pas question de rouvrir un débat sur la place du Québec
au sein du Canada. On fêtera sans l’avoir intégré en son sein, c’est
tout. Puis Charest, derrière les rideaux, vante les bénéfices de cette
alliance. Enfin, Guy Laforest fait volte-face et déclare à 59 ans qu’il
est inspiré d’un tel sentiment d’urgence que nous devrions ramener le
Québec au sein de la fédération. (Le Devoir, p. A-6 23-24 août 2014)
Tous ces détails de l’heure ne sont que reprises d’un théâtre ayant
tenu la scène entre 1791 et 1840. Mais on ne le sait pas et on ne veut pas
le savoir. C’est l’utopie en marche. On recommence!
Le symbole du fédéralisme, alimenté par celui du 150e de la
Confédération fera surgir d’autres symboles de cette réussite à
fêter (une Capitale bilingue/, mais le maire Watson ne veut pas en
entendre parler. Un pacte Ontario-Québec/, mais en spécifiant bien, comme
si nous nous attendions à autre chose, qu’il ne sera pas question de
Constitution. Une place accrue du Québec au Parlement/par le Bloc? Par
J.Trudeau? « Faites-nous donc peur un peu, disent les Anglais, on ne vous
croit plus! »). La réalité reste la même depuis 1791. Sous un régime
parlementaire monarchique, les droits des individus et le pouvoir de
l’Assemblée législative qui les représente demeurent assujettis au
privilège de l’autorité. Aujourd’hui, on ne l’appelle plus
monarchique sinon quand la force de convictions guide le premier ministre
à imposer le portrait de la reine un peu partout, mais l’intention reste
la même. (Prorogation arbitraire du parlement, bâillon aux diverses
commissions, censure des médias, caviardage de documents ne sont que
quelques méthodes d’affirmation de l’autorité suprême moderne). Ça
recommence!
Le droit du citoyen est monnayable. On fait des concessions en fonction du
degré de dangerosité du moment. Le peuple est balloté d’illusion en
illusion; puis excédé, il déclenche une petite révolution d’un jour.
Le rythme est plus ou moins rapide selon les urgences. Urgence de rétablir
l’ordre du point de vue de l’autorité. Urgence de satisfaire à
certains besoins de base selon le peuple : ne touche pas trop à ma langue,
mais essaie l’anglais intensif « ça a marché au Saguenay! »; on veut
des écoles qui réussissent, mais les bibliothèques sans livres « aucun
enfant ne va en mourir »; soins à domicile, on y croit, mais on coupe
certains services d’accès; « je vous taxe un peu fort, mais
l’inflation n’est pas au rendez-vous, vous allez m’aimer quand même?
» On recommence.
Nous avons pris l’habitude de fonctionner à l’intérieur de ces
limites d’expression. Le côté plus révolté de positions
républicaines ne nous est pas naturel. Des feux de paille pour la plupart
: la revendication des étudiants de 2013 nous étonne encore. Pourtant,
nous n’avons même pas eu la sagesse de l’inscrire dans un mouvement
plus général. « Ce sera l’expérience qui devra leur enseigner que les
lois anglaises sont les meilleures. » On y arrive, ne craignez rien!
Entre 1791 et 1840, les Canadiens pouvaient élire de larges majorités à
l’Assemblée. C’était les années fastes de la revanche des berceaux
et le Haut Canada ne représentait alors qu’un cinquième de la
population du Bas Canada. En dépit de réclamations répétées des
Gouverneurs successifs, ces assemblées refusaient d’accorder leur aval
en bloc au budget; elles réussissaient à nommer leur orateur; elles
représentaient le peuple, du moins dans la mesure de leur capacité (Le
Gouverneur avait « paqueté » un Conseil législatif supérieur où
siégeait Mgr Plessis, pour l’influencer, bien sûr!). Il ne restait plus
à l’autorité que de déjouer les règles qu’elles avaient pourtant
mises en place : prorogations hâtives et à répétition de
l’Assemblée, taxation arbitraire des individus, introduction massive des
loyalistes pour inonder la province; puis, quand rien ne suffit plus, on
alla vers l’Acte d’union, consécration de la minorisation des
Canadiens à l’intérieur de leur pays.
Et on voudrait refaire ces scénarios. « Je fais semblant d’être
d’accord, pour que nous allions trainer en longueur en commissions, en
pourparlers, pour que je te dise NON, à la fin. » On voudrait rejouer une
pièce de théâtre présentée de toutes les manières possibles!
L’Amérique française est morte dans un mythe vaporeux lié aux
voyageurs, coureurs des bois et quelques conquêtes sur les Britanniques et
les Espagnols. Le Canada français des deux nations fondatrices fut une
utopie minorisée dès 1840. Le Québec français peut-il se réaliser sur
les mêmes bases? Le fondement ethnique se rabougrit, la volonté
collective s’étiole, la croyance en soi comme peuple autonome est peu
partagée. Que reste-t-il? Rejouer les mêmes vieux gags? Non! Choisir le
risque de ne pas avoir à recommencer : plus de demandes traditionnelles du
Québec, plus de faux fédéralisme renouvelé, plus de symboles obtus.
Oser sa différence. Se nommer tels que nous sommes sans plus. Croire dans
l’impermanence, surtout celle des redites, c’est opter pour un vrai
changement à inventer. La vie prend place entre l’inconfort du risque
consenti à accueillir l’inconnu et la sagesse de savoir rentrer en soi.
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3 commentaires
Benoît Cazabon Répondre
15 novembre 2014Il n’y a pas de réversibilité possible après un trauma, il y a une contrainte de la métamorphose. Boris Cyrulnik
Cyrulnik a bien raison. Cette métamorphose passe par une intégration du passé. Le refus de soi, c'est cette impossible réversibilité après un trauma. Comme le résume si bien Jean Bouthillette : « Comment renaître à soi-même sans ressusciter ce qui ne demande plus à revivre? » (dans Serge Cantin: La souveraineté dans l'impasse.)
Stéphane Sauvé Répondre
12 novembre 2014_______
Bon texte. Merci pour les références, vous m’avez rappelé quelque chose qui me sera utile pour la suite des choses.
Je commence par votre conclusion: "Le fondement ethnique se rabougrit, la volonté collective s’étiole, la croyance en soi comme peuple autonome est peu
partagée. Que reste-t-il? Rejouer les mêmes vieux gags? Non !"
Vous répondez à votre question par ceci:
"...Oser sa différence. Se nommer tels que nous sommes sans plus. Croire dans
l’impermanence, surtout celle des redites, c’est opter pour un vrai
changement à inventer. La vie prend place entre l’inconfort du risque
consenti à accueillir l’inconnu et la sagesse de savoir rentrer en soi."
Faute d’une autre levée de boucliers (structurée et bien planifiée) au sein de peuples comme le nôtre, l’humanité sera contrainte à passer par une crise sans précédent avant qu’il retourne à son "soi". Temet nosce, disaient les anciens - connais-toi toi même. Bien qu’il se fasse un peu tard pour écouter l’invitation des sages, elle demeure plus que jamais nécessaire à notre affranchissement.
Le possible habite près du nécessaire, écrivait Pythagore... et ce nécessaire est arrivé alors que nous sommes à un jet de pierre temporel de la fin de cette humanité.
Or, alors que nos dirigeants sont en train de dilapider nos ressources naturelles et détruire certains écosystèmes hyperfragiles qui nous sustentent depuis des milliers d’années, il est nécessaire que l’on se respecte, nécessaire de dire haut et fort ce que nous croyons, et surtout, nécessaire d’agir pour le bien commun.
Découvrir la sagesse qui nous habite et enfin sortir de l’illusion est certainement la mère de toutes les nécessités. Le "possible" est donc tout près...
Les ploutocrates anglais connaissaient bien l’humain et ses faiblesses. Vous avez raison de nous le rappeler. Ils ont su exploiter ces dernières presque jusqu’à la moële. Aujourd’hui, nous avons des hommes (et depuis peu, des femmes) trempés dans la couillardise jusqu’au oreilles, à peine capables de respirer, tant ils sont pris par la folie du veau d’or.
Bien entendu, nous parlons que d’une poignée d’hommes au Québec, qui depuis des lustres, cherche à être "gouvernés à leur satisfaction", c’est-à-dire à la mesure de leur appétit pour la richesse matérielle. Cette époque tire à sa fin.
J’ai confiance que nous parviendrons bientôt à avoir cette masse critique d’hommes et de femmes qui se respectent assez pour dire Oui au Québec et non à ceux cherchent à le dilapider.
Ça prendra du courage.
Merci pour votre texte, ça m’a rappelé l’essentiel.
g
tt
Stéphane Sauvé Répondre
12 novembre 2014_______
Bon texte. Merci pour les références, vous m'avez rappelé quelque chose qui me sera utile pour la suite des choses.
Je commence par votre conclusion: "Le fondement ethnique se rabougrit, la volonté collective s’étiole, la croyance en soi comme peuple autonome est peu
partagée. Que reste-t-il ? Rejouer les mêmes vieux gags ? Non !"
Vous répondez à votre question par ceci:
"...Oser sa différence. Se nommer tels que nous sommes sans plus. Croire dans
l’impermanence, surtout celle des redites, c’est opter pour un vrai
changement à inventer. La vie prend place entre l’inconfort du risque
consenti à accueillir l’inconnu et la sagesse de savoir rentrer en soi."
Faute d'une autre levée de bouclier (structurée et bien planifiée) au sein de peuples comme le nôtre, l'humanité sera contrainte à passer par une crise sans précédent avant qu'il retourne à son "soi". Temet nosce, disait les anciens - connais toi toi même. Bien qu'il se fasse un peu tard pour écouter l'invitation des sages, elle demeure plus que jamais nécessaire à notre affranchissement.
Le possible habite près du nécessaire, écrivait Pythagore... et ce nécessaire est arrivé alors que nous sommes à un jet de pierre temporel de la fin de cette humanité.
Or, alors que nos dirigeants sont en train de dilapider nos ressources naturelles et détruire certains écosystèmes hyperfragiles qui nous sustentent depuis des milliers d'années, il est nécessaire que l'on se respecte, nécessaire de dire haut et fort ce que nous croyons, et surtout, nécessaire d'agir pour le bien commun.
Découvrir la sagesse qui nous habite et enfin sortir de l'illusion est certainement la mère de toutes les nécessités. Le "possible" est donc tout près...
Les ploutocrates anglais connaissaient bien l'humain et ses faiblesses. Vous avez raison de nous le rappeler. Ils ont su exploiter ces dernières presque jusqu'à la moële. Aujourd'hui, nous avons des hommes (et depuis peu, des femmes) trempés dans la couillardise jusqu'au oreilles, à peine capable de respirer, tant ils sont pris par la folie du veau d'or.
Bien entendu, nous parlons que d'une poignée d'hommes au Québec, qui depuis des lustres, cherchent à être "gouvernés à leur satisfaction", c'est à dire à la mesure de leur appétit pour la richesse matérielle. Cette époque tire à sa fin.
J'ai confiance que nous parviendrons bientôt à avoir cette masse critique d'hommes et de femmes qui se respectent assez pour dire Oui au Québec et non à ceux cherchent à le dilapider.
Ca prendra du courage.
Merci pour votre texte, ca m'a rappelé l'essentiel.
g