Le 8 juin dernier, la Cour d'appel du Québec confirmait, pour l'essentiel, le jugement rendu en Cour supérieure le 13 janvier 2005. Le juge Jean Bouchard avait alors refusé «d'ordonner à l'Assemblée nationale de statuer sur la pétition de l'appelant [M. Michaud] puisque cela aurait porté atteinte à son privilège d'exercer un contrôle exclusif sur ses débats». À l'occasion de ceux-ci, l'Assemblée nationale avait dénoncé «sans nuance, de façon claire et unanime, les propos inacceptables à l'égard des communautés ethniques et, en particulier, à l'égard de la communauté juive, tenus par Yves Michaud à l'occasion des audiences des états généraux sur la langue française à Montréal le 13 décembre 2000» (Journal des débats, 14 décembre 2000).
Les députés qui ont voté en faveur de cette motion peuvent-ils dormir en paix ? Oui, s'ils n'ont pas lu le jugement. Certes pas, s'ils le lisent et jusqu'à la fin. Pour leur part, deux bons juristes, comme Jean Charest et Lucien Bouchard, se sentiront certainement inconfortables. En effet, le très respecté juge Jean-Louis Baudouin a tenu à ajouter deux articles au jugement rédigé par la juge Julie Dutil. Après avoir indiqué son accord sur «l'analyse et les conclusions» de sa collègue, il ajoute : «Je ne peux cependant m'empêcher de penser que le droit est ici devant un étrange paradoxe.» Et il s'explique : «Pour préserver la démocratie parlementaire, et donc la libre circulation des idées, le droit à l'époque des chartes et de la prédominance des droits individuels permet qu'un individu soit condamné pour ses idées (bonnes ou mauvaises, politiquement correctes ou non, la chose importe peu), et ce, sans appel, et qu'il soit ensuite exécuté sur la place publique sans, d'une part, avoir eu la chance de se défendre et, d'autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires. Summum jus summa injuria, auraient dit les juristes romains !» (www.jugements.qc.ca, 8 juin 2006, Michaud c. Bissonnette, art. 65).
Étrange paradoxe en effet que, pour assurer la libre circulation des idées, on puisse permettre à la «démocratie parlementaire» de condamner un individu pour avoir émis des idées. Et le juge insiste : que ses idées soient bonnes ou mauvaises, cela importe peu. La condamnation est sans appel et l'individu est «exécuté sur la place publique sans, d'une part, avoir eu la chance de se défendre et, d'autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires».
Le juge Baudouin a bien compris que M. Michaud avait été invité, comme tous les citoyens, à exprimer ses idées à l'occasion d'audiences publiques sur l'avenir de la langue française. Quels étaient donc ces propos qui ont donné lieu à une motion sans précédent dans l'histoire parlementaire du Québec et sans doute de l'Empire britannique ? On ne le sait pas vraiment, mais on leur a attribué un caractère antisémite. Questionné sur ce sujet par un journaliste de Voir (jeudi le 1er mars 2001), le directeur du chapitre québécois du B'naï Brith, Robert Libman, lui-même ancien député, a déclaré : «Depuis le déclenchement des événements, la parole de M. Michaud a été déformée de façon incroyable. Les gens l'accusent de minimiser l'Holocauste, alors qu'il n'a jamais fait ça. On l'accuse aussi d'être antisémite. Moi, je pense qu'il ne l'est pas.»
La juge Dutil, sans doute embarrassée par cet aspect de «l'affaire», a cru utile de citer quelques-uns des propos attribués à l'époque à M. Michaud. Or, ceux-ci auraient fort bien pu sortir de la bouche de la plupart des parlementaires qui les ont dénoncés, en particulier lorsque M. Michaud rappelle que le chanoine Groulx a, un jour, invité ses compatriotes à imiter les Juifs, donnant en exemple «leur âpre volonté de survivance, leur invincible esprit de solidarité, leur impérissable armature morale».
Summum jus, summa injuria, conclut le juge Baudouin. C'est Bernard Landry qui doit avoir un sommeil agité. Il se doutait bien que l'Assemblée nationale avait commis une «suprême injustice», mais voilà qu'un éminent juge vient de le lui rappeler en latin !
L'affaire Michaud est devenue une affaire d'honneur. M. Charest a jadis accroché le grelot. Il a bien embarrassé les péquistes. Homme d'honneur et fin parlementaire, il pourrait aujourd'hui leur lancer une ultime pelure de banane et proposer une motion réparatrice vis-à-vis M. Michaud et correctrice par rapport au règlement de l'Assemblée nationale. André Boisclair, qui avait lui-même préparé une semblable motion, devrait l'appuyer. La ligne de parti fera le reste comme en décembre 2000.
Autrement, il restera à la Cour suprême de corriger cette «suprême injustice». L'Assemblée nationale serait bien avancée !
Denis Vaugeois
_ Ancien parlementaire, l'auteur a été président de la Commission des institutions, co-auteur d'un rapport sur le contrôle de la législation déléguée et d'un autre, sur la réforme du Parlement, qui a ouvert la voie aux nouvelles commissions parlementaires.
L'Assemblée nationale et le sens de l'honneur
Affaire Michaud 2000-2011
Denis Vaugeois8 articles
Éditeur, ancien parlementaire et ministre dans le gouvernement de René Lévesque, l'auteur a aussi été président de la Commission des institutions.
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