L'arbre qui cache la forêt

Garderies à vocation religieuse


Désolée. Je ne vous parlerai pas du niqab, cette cage de tissu qui déshumanise, efface et isole les femmes. Ni du hijab, ce foulard de plus en plus porté à travers le monde. Deux signes parmi tant d'autres de la montée du religieux et des intégrismes.
Je ne vous en parlerai pas parce qu'à force de braquer les projecteurs sur les niqabs, les foulards et les femmes qui les portent, on stigmatise celles-ci plutôt que le système intégriste qui les soumet.
Pis encore, on se fait croire qu'on aura réglé la question si on interdit le niqab en clamant comme des automates décervelés qu'il faut simplement fonctionner "à visage découvert"...
Surtout, je ne vous en parlerai pas parce que le niqab, la burqa et le hijab sont l'arbre qui cache la forêt. Ou, si vous préférez, ils sont une manifestation parmi d'autres d'un problème beaucoup plus vaste, lequel transcende nos frontières et nos débats sur les accommodements dits raisonnables.
Ce problème, c'est celui du retour du religieux dans les sphères civique et politique, sous toutes ses formes, incluant les intégrismes. Une chose est sûre: dans plusieurs pays démocratiques, le religieux est sorti du placard où on l'avait pourtant remisé pour cause de libération de la société civile de l'emprise oppressante des diktats religieux.
Ce problème, le vrai, est donc celui de la manipulation croissante d'élus et d'élites politiques par des leaders religieux, par définition, non élus. Des élites de plus en plus complaisantes, soit par ignorance de la complexité des enjeux, soit par pleutrerie, soit par électoralisme.
Ici et dans d'autres pays, les lobbys religieux, de tous acabits et aux carnets de chèques bien garnis pour les partis politiques, ont de plus en plus leurs entrées dans les coulisses du pouvoir et les processus décisionnels. Ces jours-ci, un imam, un curé ou un rabbin a de bonnes chances de parler à un ministre aussi rapidement qu'un président de compagnie ou de syndicat.
Bref, si on regarde la forêt dans son entier, on voit mieux que le vrai problème en est un de démocratie. Rien de moins.
Au Québec, ça se manifeste de diverses manières. Ainsi, on a bien tenté d'amuser la galerie avec la commission Bouchard-Taylor, mais la difficulté des gouvernants à dire non aux lobbys religieux est réelle, sauf dans des cas aussi faciles et évidents que le niqab et la burqa.
Il y a aussi cette brochette de plus en plus longue d'écoles privées catholiques, juives, musulmanes et autres, subventionnées par les fonds publics, alors qu'on a pourtant déconfessionnalisé les commissions scolaires catholiques et protestantes. On a même maintenant des garderies subventionnées à vocation religieuse et aux environnements "homogènes" (1)!
Et n'oublions pas les calendriers scolaires qu'on modifie et les salles de prières qu'on ouvre pour "accommoder" des pratiques religieuses dans l'espace civique.
Il y a surtout ce refus d'agir clairement en matière religieuse, sous prétexte que ça ne passerait pas le "test" de chartes des droits interprétées par des juges, eux aussi, bien entendu, non élus. Donc, à quoi ça sert un élu lorsque ça craint de gouverner au nom du bien commun? Ou quand ça refuse de voir que les intégrismes sont aussi des systèmes politiques anti-démocratiques?
Puis, il y a cette montagne de confusion entre "pluralisme", "interculturalisme", "multiculturalisme" et la simple nécessité pour une démocratie de laisser les croyances au domaine privé.
Le retour de la misogynie et de l'homophobie
Ce problème, c'est aussi le retour de la misogynie et de l'homophobie pratiquées sous le couvert de la liberté de religion. Nos gouvernements se drapent dans la vertu de l'"égalité homme-femme", mais se taisent lorsque des systèmes religieux imposent aux femmes et aux homosexuels une différence de traitement scandaleuse et nient ainsi leurs droits les plus fondamentaux. Et ce, dans la plupart des religions, avec ou sans voile. Homme, femme ou enfant.
On perd son latin à voir aussi certains intellectuels et féministes, sous prétexte de "pluralisme", hésiter à remettre en question des pratiques aussi rétrogrades que la misogynie, l'homophobie, le refus de la mixité, l'exigence de "modestie" et de "pudeur" imposée aux filles et aux femmes, avec ou sans voile, de même que le contrôle exercé sur leur corps et leur sexualité par des diktats religieux à géométrie variable. Que ces pratiques gagnent du terrain partout en Occident, alimentées par des communautarismes ethno-religieux à la hausse, devrait allumer quelques voyants jaunes.
C'est pourtant là tout le contraire d'un processus d'intégration réussi et d'un réel "vouloir faire société", comme disent les sociologues.
Quant au fédéral, sous les conservateurs, l'influence des lobbys religieux est devenue alarmante.
Récemment, le Globe and Mail faisait aussi état de milliers d'étudiants envoyés par l'Arabie Saoudite étudier à gros prix dans les universités canadiennes-anglaises - le Canada étant maintenant le troisième pays le plus populaire auprès de ces étudiants après les États-Unis et la Grande-Bretagne. Mais oups. Un petit détail: les femmes ne peuvent étudier ici que si elles arrivent et fonctionnent avec un "chaperon" mâle.
Le beau principe de l'égalité homme-femme prend le bord lorsque la religion parle. Une honte.
Bref, au-delà des signes plus visibles comme les voiles et les bondieuseries, le vrai problème tend à être évacué. Ce problème, c'est que la démocratie est véritablement prise à partie par cette montée très politique du religieux. Ici comme ailleurs.
À quand des gouvernants capables d'en prendre pleinement conscience?
***
(1) Et maintenant, le ministre de la Famille semble reculer. Quoique ses déclarations sont tout sauf claires. L'improvisation se poursuit: http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/201003/10/01-4259197-garderies-religieuses-tomassi-fait-volte-face.php


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