L’année Legault

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La CAQ a remplacé le PQ pour l'électorat nationaliste


« Aujourd’hui, on a marqué l’histoire. » François Legault n’est pas l’orateur le plus flamboyant ou lyrique du Québec. Mais le constat qu’il énonçait au début de son discours de victoire, le 1er octobre, restera celui qui résume le mieux le sens de l’année politique québécoise 2018. Qui fut, oui, historique. Et totalement caquiste.


Peu importe ce que le gouvernement Legault arrivera à faire d’ici 2022, il pourra revendiquer un tour de force : celui d’avoir mis un terme à un demi-siècle d’alternance libérale-péquiste au pouvoir.


Les quelque quatre millions de Québécois qui sont allés voter en octobre (à 66,4 %, ce fut l’un des deux plus bas taux de participation depuis 1927) ont ainsi imposé à la scène politique une forme de tremblement de terre dont les effets se feront sentir longtemps. Retour sur une année charnière, et ce, pour tous les partis.



Le triomphe de la CAQ François Legault n’aurait pu rêver de meilleur résultat : avec 37 % du vote, son parti a remporté 60 % des sièges (une disproportion que la réforme promise du mode de scrutin devrait empêcher dans le futur).


Sauf dans l’ouest de l’île de Montréal et dans l’est de la province, la Coalition avenir Québec est présente partout, et en force. Sept ans après sa fondation par l’ancien ministre péquiste, la CAQ dispose d’une solide majorité pour implanter son programme articulé autour de trois priorités classiques : l’éducation, la santé et l’économie.


Cette victoire, M. Legault l’a obtenue malgré une campagne électorale pas toujours facile pour lui. Sa promesse de réduire les seuils d’immigration au Québec afin de tenter de mieux intégrer les immigrants ne souffrait pas d’un surplus de clarté et lui a causé passablement de soucis. Mais cela fut sans conséquence.


Porté par une évidente volonté de changement de la part des Québécois — et entouré d’une équipe que la plupart des observateurs estimaient être la plus forte —, le chef de la CAQ a pu conserver l’avance que tous les sondages lui accordaient depuis un an.


Il se trouve donc aujourd’hui dans la plus envieuse des positions : aux commandes de l’État et devant des partis d’opposition décimés. Reste maintenant à concrétiser le « changement » promis. François Legault a fait un premier pas en ce sens en nommant autant de femmes que d’hommes dans son Conseil des ministres.


Le choc du PLQ Avec 24,8 % du vote, les libéraux ont enregistré le pire résultat électoral de leur histoire — et sont aujourd’hui pratiquement confinés dans les circonscriptions plus anglophones de Montréal. Aucun sondage n’avait prédit une telle raclée, qui a ramené le caucus libéral à une trentaine de députés.


La défaite a notamment entraîné le départ du chef Philippe Couillard. Pour en comprendre les fondements, le président du parti mène présentement une tournée où il promet que « toutes les pierres seront retournées ». Mais le chantier de remise sur pied pourrait être long, reconnaît-on.


Les libéraux disposaient pourtant d’une trame de fond favorable : une bonne situation économique au Québec et des surplus budgétaires importants (obtenus en grande partie par les deux années d’austérité imposées en début de mandat).


Mais cela n’a pas empêché le Parti libéral du Québec de se faire souffler le titre impalpable de « parti de l’économie » par la CAQ et son chef homme d’affaires, qui promettait un « gouvernement d’entrepreneurs ». M. Legault n’a pas cessé non plus d’appeler les Québécois à mettre un terme à 15 années de règne libéral, soulignant du coup le statut de « vieux parti » du PLQ.


La victoire de François Legault a eu un autre effet collatéral sur le bilan 2018 des libéraux : celui de réduire l’espérance de vie des dernières annonces et promesses du gouvernement Couillard. Qu’en restera-t-il en fin de compte ? Mystère. Comme disait la reine : « annus horribilis ».


L’effacement du PQ Rompu à l’analyse des sondages et des tendances politiques, Jean-François Lisée ne se faisait probablement pas d’illusions à l’approche du scrutin du 1er octobre. Lointain troisième depuis un an, incapable de décoller de la barre des 20 % d’appuis, le Parti québécois ne semblait pas précisément destiné au pouvoir. N’empêche que la gifle a été sévère, voire violente.


Avec dix députés (pire résultat depuis 1973) et 17 % des votes (pire résultat depuis toujours), le PQ se trouve aujourd’hui au même niveau que Québec solidaire. Il se trouve aussi sans chef — et, plus largement, plongé dans une crise existentielle aux contours épais.


Jean-François Lisée a mené une campagne électorale combative (et appuyée sur un programme jugé étoffé). Mais plusieurs en retiendront surtout son étonnante attaque contre la solidaire Manon Massé lors du débat des chefs de TVA : il a voulu savoir qui était le vrai « patron » à Québec solidaire, et qui tirait « les ficelles dans l’ombre ». Plusieurs péquistes n’ont pas caché leur inconfort devant cette sortie. L’électorat, lui, n’avait visiblement pas les mêmes préoccupations.


L’émergence de QS Nul besoin d’un doctorat en science politique pour comprendre le mouvement des plaques tectoniques québécoises en 2018. L’élection a souligné à gros traits le recul des partis traditionnels et la montée des formations les plus récentes.


La performance inespérée de Québec solidaire le 1er octobre a ainsi tout changé pour la formation. Celle-ci est désormais reconnue comme parti officiel à l’Assemblée nationale. Avec dix députés (contre trois avant les élections), elle dispose de budgets conséquents. Avec des élus à Québec, Sherbrooke et Rouyn-Noranda, elle dispose aussi d’ancrages en dehors de Montréal.


La chef parlementaire, Manon Massé, a mené une campagne efficace — facilitée, selon Jean-François Lisée, par le manque d’attention portée par les médias à la caravane solidaire. Quoi qu’il en soit : a contrario des libéraux, c’est une sorte d’annus mirabilis qu’a connu QS en 2018, et le parti s’en trouve aujourd’hui transformé.




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