L’anglais d’Agnès Maltais

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« Le Québec est en voie de redevenir bilingue »

Ainsi, certains animateurs radio se moquent de la ministre Agnès Maltais et de sa maîtrise de l’anglais. Elle le bafouillerait. Elle trébucherait sur des mots. Elle ne le parlerait pas avec la même spontanéité que sa langue maternelle, et pour cela, elle nous ferait honte. Comment ose-t-elle? On a aussi fait ces reproches, il y a quelques années, à Pauline Marois. Derrière cela, le reproche est net : elle n’est pas «parfaitement bilingue» donc elle n’est pas vraiment à sa place.
Il y a quelque chose de «colonisé» et d’absolument navrant à exiger des ministres du gouvernement du Québec qu’ils parlent anglais aussi bien qu’ils parlent français, comme s’ils avaient deux langues maternelles, comme s’il allait de soi qu’un politicien québécois, pour être crédible et bien à sa place, devait fonctionner aussi bien en français qu’en anglais. Une excellente maîtrise de l’anglais serait une condition d’entrée au cabinet. Ceux qui ne passeraient pas le test seraient disqualifiés.
Comment ne pas y voir le signe d’une triste régression, d’un consentement de plus en affiché à la dénationalisation du Québec ? Le Québec était en voie de devenir un pays français, il est en train de redevenir une province bilingue, comme on le voit aussi à l’Université de Montréal, où, à la faculté de droit, on peut pratiquement passer ses examens en anglais, comme s’il s’agissait d’une langue sur deux dans l’institution. Le français devait être nécessaire pour évoluer au Québec : il redevient peu à peu optionnel, et cela, tout aussi radicalement dans la vie quotidienne.
Et bien évidemment, on en trouve pour applaudir cette régression : c’est qu’enfin, nous sortirions du cocon provincial, et selon qu’ils appartiennent à la droite libertarienne, à la droite néolibérale ou à la gauche multiculturelle, ils nous diront que nous nous ouvrons à la réalité nord-américaine, au marché mondialisé ou à l’humanité enfin capable de communiquer dans une langue unique. Pour eux, le Québec français est une anomalie, un accident historique appelé à se résorber peu à peu.
C’est aussi le sort qui attend l’idéal de l’indépendance, de leur point de vue: car l’indépendance, quoi qu’en pensent certains souverainistes si «modernes» qu’ils voudraient la vider de tout nationalisme historique, consiste dans les faits à fonder ici un État indépendant exprimant une expérience historique particulière, et la plaçant au cœur de la vie nationale, et l’investissant pleinement dans la citoyenneté. L’indépendance n’a pas de sens si elle ne porte pas l’idéal d’un pays français.
Évidemment, les individus pourront ici conserver leur langue, à la manière d’une coquetterie identitaire. Il ne sera plus permis, toutefois, de «mettre le français au pouvoir», comme on le souhaitait avec la Révolution tranquille. Car c’était bien évidemment l’idéal qu’elle portait : au Québec, les «francophones», comme on dit aujourd’hui, ne seraient plus jamais un groupe parmi d’autres, et il faudrait embrasser leur destin pour embrasser le Québec.
Il y en a qui rêvent de parler «anglais sans accent». Mais je l’ai souvent demandé : où dans le monde parle-t-on cet anglais si épuré qu’il est sans accent? À Londres? En Californie? À Bombay? La vraie signification de cette formule, «parler anglais sans accent», est «parler anglais sans qu’on ne reconnaisse qu’ils sont Québécois». Comme s’il s’agissait d’une tare. Comme s’il y avait là quelque chose de honteux.
Chose certaine, ceux qui se moquent d’Agnès Maltais et de son anglais envoient un message clair : il ne sera plus permis d’arriver aux sommets de la société sans être «parfaitement bilingue», c’est-à-dire, de parler anglais comme si nous étions des anglophones de naissance. Plutôt que de s’excuser, en expliquant qu’elle était épuisée et éprouvée émotionnellement, c’est ce que devrait rappeler Agnès Maltais. Et rappeler aussi, pour reprendre la formule bien connue, qu’au Québec, mettre les deux langues sur le même pied, c’est mettre les deux pieds sur notre langue.


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