À propos du dernier sondage : le prévisible basculement de l’opinion

F7aec2f3f7377451ce05d055bf77f057

Un légitime désir de réenracinement

Le sondage publié ce matin par le Journal de Montréal confirme ce que bien des observateurs devinaient depuis des mois: la «Charte des valeurs» a travaillé en profondeur l’opinion publique. Elle répondait à une attente souvent niée mais pourtant intimement ressentie dans la population : la réaffirmation de l’identité québécoise, et son nécessaire recentrement sur la majorité historique francophone. Plusieurs supposaient qu’avec le temps des fêtes, cet appui se convertirait progressivement en appuis au Parti Québécois. C’est apparemment ce qui est en train d’arriver. S’il y avait une élection demain matin, le PQ serait probablement majoritaire. À terme, cette question contribuera aussi à redynamiser la cause souverainiste.
Quoi qu’en disent certains spécialistes de la politique gestionnaire, les Québécois croient que la question identitaire est une «vraie affaire». Et ils font davantage confiance aux souverainistes pour la porter qu’aux autres partis, cela d’autant plus que le Parti libéral a complètement intériorisé les exigences du multiculturalisme canadien. Dans le Canada contemporain, le PLQ est un parti domestiqué. Le Parti libéral de Philippe Couillard est difficile à distinguer du Parti libéral de Justin Trudeau. Quand un parti a l’impression de faire preuve de grande audace en consentant finalement à l’interdiction du tchador chez ses candidates, c’est la preuve que quelque chose ne tourne pas rond chez lui. Quant à la CAQ, elle aurait pu tirer avantage de cette question, mais le manque d’enthousiasme évident de ses leaders la condamnait à l’invisibilité politique.
La question identitaire est une question gagnante pour les souverainistes. Ils se réinscrivent dans l’histoire longue du nationalisme québécois et renouent avec l’esprit de René Lévesque – je parle du René Lévesque réel et non du René Lévesque en carton-pâte réinventé par certains individus à la mémoire trouée qui ont manifestement oublié les très belles pages qui commencent Option Québec. Surtout, les souverainistes ferment définitivement la parenthèse honteuse de l’après 1995, qui les avaient amené à se définir exclusivement dans les paramètres autorisés du politiquement correct. Il fut un temps où les souverainistes, vidaient leur projet de sa mémoire, en croyant le rendre «inclusif», alors qu’ils se contentaient de l’édulcorer et de le condamner à l’insignifiance. Cette histoire semble derrière nous. Du moins on l’espère.
La stratégie identitaire, mise en place par Pauline Marois lors de son arrivée à la direction du PQ, porte ses fruits. Il s’agissait de se libérer des inhibitions idéologiques d’après 1995, quand les souverainistes firent pénitence jusqu’à se saigner les genoux pour s’excuser des propos malheureux de Jacques Parizeau le 30 octobre. Le souverainisme devait redevenir un nationalisme. De ce point de vue, l’objectif de Pauline Marois, n’était pas de sauver le PQ le temps d’une élection, mais de réinscrire la question nationale dans une nouvelle époque – c’est à cette condition que le PQ survivrait lui-même. Et cette stratégie ne consiste pas, quoi que certains en disent, à exciter la xénophobie supposée d’une frange craintive du Québec francophone, mais tout simplement, à ramener à la surface la question nationale telle qu’elle s’inscrit dans notre époque.
Une vieille leçon nous est rappelée: un parti qui s’excuse de sa raison d’être et n’en finit plus de diluer son message et son programme pour plaire à ses adversaires est condamné au dépérissement. Il exaspère ses partisans, inspire l’indifférence ou le mépris des hésitants, et excite l’agressivité de ses adversaires. Inversement, lorsqu’il assume clairement son «créneau électoral» et la tradition politique dont il est représentant, il peut croître, et lorsqu’il est en péril, il peut même renaître. On voit ici que la politique ne saurait sérieusement se réduire à des techniques de marketing, comme le pensent ceux qui évoluent sans idéaux, sans objectifs à long terme, sans programme de fond.
S’agit-il pour autant d’une simple «stratégie souverainiste»? Non. Car l’affirmation identitaire québécoise est une quête qui traverse l’histoire et qui touche aux fondements existentiels de la nation. Et il se trouve, tout simplement, que cette affirmation est entravée par la nature même du régime fédéral, et plus encore par l’ordre constitutionnel de 1982. Et ce qu’on appelait autrefois la construction de la «société distincte» québécoise passe aujourd’hui en bonne partie par une laïcité consacrant l’héritage de la Révolution tranquille comme marqueur de l’identité nationale. Le Québec, aujourd’hui, a objectivement besoin d’un nouveau modèle d’intégration, dont la laïcité sera un élément. Ce nouveau modèle, le Canada ne le tolérera pas. Le Québec doit-il renoncer à ce qui est essentiel pour lui parce que le Canada l’en empêche? C’est ici qu’on distingue les nationalistes québécois des fédéralistes inconditionnels. Il était temps, d’ailleurs, qu’on pose clairement la question du régime politique canadien et de son rapport au peuple québécois. Enfin, nous sommes sur du solide.
En ce moment, le gouvernement prouve que la population est disposée à renouer avec la politique si la politique renoue avec l’essentiel. Évidemment, les dénonciations sont nombreuses. Mais ceux qui se sont spécialisés dans les leçons de tolérance adressés à une population jugée bête, méchante et baignant dans un vieux jus xénophobe se montrent incapables de comprendre la vraie nature du «désir de nation» qu’expriment aujourd’hui les sociétés occidentales. Les préjugés antinationalistes de ceux qui s’imaginent toujours notre société au seuil d’une crise de xénophobie révèlent davantage leur vision du monde que la vraie nature du Québec. En assimilant toute critique des Chartes de droits ou du multiculturalisme à un nationalisme tyrannique et xénophobe, ils révèlent en fait leur propre incapacité à reconnaître la légitimité du désir de «réenracinement» qui s’exprime au Québec.
La politique n’est pas qu’affaire de gestion. Elle doit donner du sens à la vie en commun. C’est le grand projet politique exigé par notre époque qui se dévoile étape par étape. Il y en avait pour croire que l’abolition des frontières, la déconstruction des États et la négation des identités contribueraient à l’émancipation humaine. C’était la vision naïve du début des années 1990, à l’heure de la mondialisation supposément heureuse. On constate aujourd’hui qu’il y avait là quelque chose de déshumanisant à détacher l’individu des liens noués par la culture et l’histoire. En prétendant imposer à chaque peuple une conception absolument désincarnée de l’émancipation humaine, réduite aux «droits» et au marché, assimilée à la seule définition possible du progrès, on minait la démocratie et on pavait le chemin d’une forme de despotisme faussement éclairé.
On travaille conséquemment à revaloriser les grands ancrages de civilisation. L’État-nation est certainement le plus important d’entre eux. De même, on entend redonner vie à la mémoire commune, car un peuple ne partage pas seulement des droits, mais une conscience historique, une culture. Autrement dit, on redonne une matière riche à la vie politique, et on répond ainsi à des aspirations humaines étouffées par ceux qui nient l’exigence du collectif. Une chose est certaine : les souverainistes, lorsqu’ils cessent de quêter la respectabilité chez leurs adversaires, peuvent renaître. Ils peuvent même gagner. À l’horizon de la Charte des valeurs, on voit un gouvernement souverainiste majoritaire. Et un peu plus loin, en forçant le regard, et en ne s’interdisant pas l’espérance, on voit renaître le bel idéal de l’indépendance.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé