L’Amérique libre et démocrate des Patriotes

Livres - revues - arts - 2012



Photo : VLB
Ignace Dumouchel (dessin de Jean-Joseph Girouard)
À RETENIR
Portraits de patriotes (1837-1838)
Jonathan Lemire
VLB, Montréal, 2012, 264 pages
Michel Lapierre - Dans la crise actuelle, la place Émilie-Gamelin, à Montréal, sert de point de départ à des manifestations, comme si la révolte continuait l’histoire. Livre illustré aussi beau que savant, Portraits de patriotes (1837-1838), de Jonathan Lemire, signale qu’Émilie Tavernier, veuve Gamelin, mère de l’Institut de la Providence et « ange des prisonniers politiques », était la soeur de François Tavernier, l’un des fondateurs en 1837 des Fils de la Liberté.
Le recueil contient une centaine de dessins, reproduits en couleurs, de Jean-Joseph Girouard, lui-même patriote de 1837-1838 et prisonnier politique, dont quelque 90 portraits de ses compagnons d’infortune (y compris François Tavernier), le tout conservé par l’État fédéral à Ottawa. Historien, Lemire a joint à la collection des portraits inédits d’insurgés, oeuvres également exécutées par Girouard mais provenant d’autres sources.
Né à Québec, notaire à Saint-Benoît-des-Deux-Montagnes, l’artiste, appartenant par sa mère à la dynastie des Baillargé, architectes, sculpteurs et peintres, eut le talent de rendre éloquente la physionomie des personnages dont il dessina le profil. Dans les notices biographiques des patriotes représentés, Lemire, par sa prodigieuse érudition, nous laisse deviner la diversité bouleversante des vies intérieures de ces révolutionnaires meurtris du Bas-Canada.
Parmi eux se trouve même un prêtre, Augustin-Magloire Blanchet, qui deviendra plus tard évêque dans le futur État de Washington. Le témoignage de ce modéré, pourfendeur de charivaris (ancêtres des tintamarres des contestataires actuels), étonne par sa sagesse et son audace. En 1837, Blanchet écrit à l’évêque coadjuteur de Montréal : « La marche suivie par le gouvernement ne pouvait être avantageuse ni au gouvernement ni au peuple. Telle est encore mon opinion, et aujourd’hui plus que jamais. »
Plus intrépide, l’avocat André Ouimet, Fils de la Liberté qui a pris les armes contre les loyalistes, reproche au clergé sa soumission à l’autorité britannique. « Dites aux Américains, lance-t-il à un ami, de n’être jamais catholiques, c’est la religion des imbéciles. » Lointain précurseur des tenants du carré rouge, le professeur de philosophie Jean-Philippe Boucher-Belleville oppose une Amérique libre et démocrate à l’Angleterre des « tyrans ».
Quant à Georges Boucher de Boucherville, fils dissident d’un seigneur, il magnifiera plus tard, dans son roman d’aventure Une de perdue, deux de trouvées (1864-1865), les côtés comiques, délirants, anarchiques de tout juste combat en faisant de ses héros les vainqueurs de pirates qui attaquent leur navire dans la mer des Antilles. Il racontera : « Tout se culbute et se relève pour rouler et se culbuter encore. »
Aujourd’hui comme hier, si les bien-pensants blâment le brin de folie et le grabuge qui pimentent un profond besoin de changement, c’est pour mieux nier cette nécessité même.


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