Le retour du nationalisme conservateur

À la fois polémique et savant, cet essai tendancieux pour lecteurs avertis nourrit malgré tout un débat fondamental pour l’avenir du Québec.

Livres - revues - arts - 2012



Les nouveaux visages du nationalisme conservateur au Québec
_ Jean-Marc Piotte et Jean-Pierre Couture
_ Québec Amérique
_ Montréal, 2012, 176 pages
S’il faut en croire les politologues Jean-Marc Piotte et Jean-Pierre Couture, un réseau intellectuel de nationalistes conservateurs de choc serait à l’oeuvre au Québec et viserait, « au nom d’un passé mythifié et d’une nation surplombante et divinisée, [à] liquider l’héritage des multiples luttes pour la liberté, l’égalité et la solidarité qui ont traversé le Québec ». Les têtes d’affiche de cette « école cohérente » seraient Jacques Beauchemin, Joseph-Yvon Thériault, Éric Bédard, Marc Chevrier, Gilles Labelle et Stéphane Kelly. Leur objectif : en finir avec le pluralisme et le nationalisme civique afin de renouer avec le « vieux nationalisme canadien-français ». Telle est la thèse que soutiennent Piotte et Couture dans Les nouveaux visages du nationalisme conservateur au Québec.
Selon les deux politologues, la défaite référendaire du camp du Oui, en 1995, aurait fait ressortir deux courants dans le mouvement souverainiste. Le premier, qui occupe le devant de la scène de 1995 à 2007, regroupe les partisans du nationalisme civique et pluraliste (Gérard Bouchard, Michel Seymour, Micheline Labelle et quelques autres), qui définissent la nation québécoise « par des lois communes et l’usage du français comme langue publique commune ». Cette tendance trouve grâce aux yeux de Piotte et Couture.
Le deuxième courant, qui effectue une montée en puissance dans la foulée de la débâcle du Parti québécois en 2007 et du dépôt du rapport de la commission Bouchard-Taylor en 2008, réunit des intellectuels qui, selon Piotte et Couture, identifient « la nation québécoise à sa souche canadienne-française ». Sans nécessairement défendre un programme identique, ces penseurs partageraient des « dénominateurs communs » : « le passéisme, la critique conservatrice de la modernité, l’épistémologie idéaliste, l’oubli ou le rejet de l’apport des sciences sociales et l’euphémisation de leur conservatisme ».
Militants de gauche associés à la revue À bâbord !, qui défend des positions souvent très près de celles de Québec solidaire, Piotte et Couture rejettent cette seconde tendance, qu’ils assimilent à un « repli sur soi » et à une régression sociopolitique. Les critiques qu’ils lui réservent ont le mérite d’alimenter le débat, mais elles manquent de nuances et sont parfois empreintes de mauvaise foi.
D’une tradition à l’autre
Certains des auteurs analysés dans cet ouvrage peuvent, en effet, être assimilés au courant de la droite conservatrice. C’est le cas de l’historien Éric Bédard, des politologues Marc Chevrier et Gilles Labelle et, dans une moindre mesure, du sociologue Stéphane Kelly, quatre auteurs qui critiquent sévèrement, sous divers prétextes, le modèle québécois issu de la Révolution tranquille.
On ne peut, toutefois, ranger les sociologues Beauchemin et Thériault dans cette catégorie. Tous deux partisans de la social-démocratie, ce que reconnaissent au passage Piotte et Couture, ces sociologues plaident pour un attachement à une certaine tradition canadienne-française, mais leur projet relève d’une démarche de philosophie politique qui exclut un retour au modèle socioéconomique d’avant 1960 et qui montre que s’inscrire dans une tradition n’est pas nécessairement réactionnaire.
Il est vrai, comme l’écrivent Piotte et Couture, que, pour Thériault, « le sens d’une société, l’intention qui l’anime, réside dans la mémoire d’une tradition qui résiste à la modernité » et que, pour Beauchemin, « l’indépendance serait l’aboutissement heureux de notre survivance », mais cela ne fait pas pour autant de ces deux penseurs des clones intellectuels du maire Jean « la-la » Tremblay.
Selon Piotte et Couture, depuis 1960, « la nation canadienne-française n’est plus une réalité vivante » et s’y référer comme à une inspiration pour guider les débats d’aujourd’hui serait franchement réactionnaire, surtout quand on considère les traits ethnicistes, colonialistes, racistes, patriarcaux, homophobes, autoritaires et messianiques qui ont caractérisé cette tradition.
Piotte et Couture ne rejettent pas tous les recours au passé, mais ils proposent de renouer avec une autre histoire, « avec les patriotes, les rouges, le Refus global et les luttes du mouvement ouvrier ». Selon eux, et ils ont en cela partiellement raison, « la nation québécoise, qui s’est affirmée dans et depuis la Révolution tranquille, et le mouvement indépendantiste auquel elle a donné naissance auraient été impossibles sans cette critique impitoyable d’un passé replié sur la survivance ».
Beauchemin et Thériault développent une autre lecture de ce processus. Ils ne nient pas la pertinence de la Révolution tranquille, mais déplorent que, dans son mouvement, les Québécois francophones aient oublié « l’intention » qui anime leur histoire depuis le début. Piotte et Couture voient un progrès dans le rejet de l’idéologie de la survivance. Beauchemin et Thériault défendent plutôt la nécessité, pour que la nation québécoise garde son sens, de se réconcilier avec le passé canadien-français et critiquent le fait que le Québec, depuis 1960, se définisse essentiellement sur le mode de la rupture avec le passé au lieu de concevoir son projet d’émancipation nationale comme une modernisation de la survivance d’hier.
Dans Critique de l’américanité, son plus important essai, Thériault évoque « l’intentionnalité culturelle du Canada français » qui s’est développée dans la tension « entre les valeurs universalistes de la démocratie et les valeurs particularistes de défense de sa nationalité ». Selon lui, la nation québécoise perd son sens si elle néglige les secondes pour ne plus laisser place qu’à une société d’individus sans ancrage.
Beauchemin ne dit pas autre chose quand il plaide pour la nécessité d’un projet national conçu comme « un projet politique d’ensemble » qui rallie les identités fragmentées autour d’un horizon commun qui n’exclut pas, comme le suggèrent Piotte et Couture, les minorités, mais les invite plutôt à participer pleinement à la singulière aventure nationale québécoise.
À la fois polémique et savant, cet essai tendancieux pour lecteurs avertis nourrit malgré tout un débat fondamental pour l’avenir du Québec.


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