L’Actualité du 15 avril monte en épingle les attitudes négatives de certains Anglo-Québécois envers le français, recueillies au moyen d’un sondage CROP douteux. En commentant les résultats, Jean-François Lisée et Jack Jedwab y rivalisent de démesure.
Lisée fait grand battage autour des opinions d’anglophones tirés d’un « panel Web ». Une note en bas de page nous avertit : « Compte tenu du caractère non probabiliste de l’échantillon, le calcul de la marge d’erreur ne s’applique pas. »
Parlons clair. Autosélectionné, pareil panel ne représente que lui-même. Ses opinions courent d’excellentes chances d’être biaisées. CROP a d’ailleurs refusé de me préciser le taux de réponse.
Qu’à cela ne tienne, Lisée généralise à gogo. Les Anglo-Québécois sont comme ci et pensent comme ça. C’est, au mieux, de l’information-spectacle.
L’Actualité a aussi pris soin d’écarter tous les métissés anglais-français de type anglophone francisé ou francophone anglicisé, pour ne retenir qu’un noyau dur d’anglophones (langue maternelle) persistants, qui continuent à parler surtout ou exclusivement l’anglais à la maison, additionné d’allophones (langue maternelle) anglicisés, qui ont choisi l’anglais – et non le français – comme leur nouvelle langue d’usage.
Effet garanti. Ce sont les moins susceptibles de se préoccuper de l’avenir de la langue française.
Pour mieux faire sensation, Lisée concocte ensuite un paradoxe. Il oppose les attitudes négatives exprimées par son groupe de répondants pas mal particulier, à des signes grossis « d’une présence massive du français dans la vie de nos concitoyens anglophones ».
Des exemples ? « Une des données les plus importantes du recensement de 2006, Lisée nous assure-t-il, tient à l’augmentation fulgurante de la proportion d’Anglo-Québécois qui choisissent un francophone pour conjoint. Presque la moitié vivent en couple mixte. » Il insiste : « L’Anglo-Québécois de 2012 n’est plus prisonnier de sa langue […] Une fois sur deux, son partenaire de vie est francophone. »
Vous trouvez que c’est beaucoup ? Vous avez raison. Lisée charrie cette fausse information depuis plus d’un an. Faudrait bien que quelqu’un finisse par lui dire qu’il comprend les chiffres de travers.
Faisons un peu d’arithmétique. Du point de vue de la langue maternelle, il est vrai que le nombre de couples avec un conjoint anglophone et un conjoint francophone est à peu près égal au nombre de couples avec deux conjoints anglophones. Mais un couple avec deux conjoints anglophones compte, justement, deux conjoints anglophones ! Ce n’est donc pas un anglophone, langue maternelle, sur deux qui vit avec un francophone, mais un sur trois.
Cependant, les anglophones de Lisée ne sont pas définis selon la langue maternelle. Parmi les anglophones, langue d’usage, qui correspondent au profil particulier de ses répondants, c’est moins d’un sur cinq qui vit avec un conjoint francophone, langue maternelle. Et moins d’un sur dix qui vit avec un conjoint francophone, langue d’usage.
Lisée exagère pareillement le degré d’intégration des Anglo-Québécois sur le plan identitaire. Il assure qu’un sondage Jedwab-Léger Marketing aurait récemment trouvé que « pas moins de 82 % d’entre eux s’identifiaient comme Québécois ».
Il ne s’agit là que du complément des 18 % qui s’identifiaient exclusivement comme Canadiens. Pour atteindre son 82 %, Lisée fourre dans le même sac 45 % de répondants qui se déclaraient Canadiens d’abord et Québécois ensuite, 21 % qui s’identifiaient comme également Canadiens et Québécois, seulement 12 % de Québécois d’abord mais aussi Canadiens et, enfin, un infime 2 % de Québécois tout court.
Lisée s’extasie aussi devant le degré élevé de connaissance du français parmi les Anglo-Québécois. Tout le monde sait que cela reflète plus souvent un apprentissage scolaire qu’une pratique courante dans la vie de tous les jours.
Au fond, le paradoxe à Lisée n’est qu’un poisson d’avril.
Réagissant dans The Gazette, Jack Jedwab relève que les questions du sondage de L’Actualité étaient formulées de manière à provoquer l’indifférence, sinon l’hostilité envers le français. Il en profite pour prendre son air habituel de sainte nitouche. « Le Québec serait mieux servi si l’on s’employait davantage à promouvoir le dialogue entre les communautés anglophone et francophone » [traduction libre], écrit-il.
Jedwab fait, bien sûr, le contraire de ce qu’il prêche. En interview dans le même numéro de L’Actualité, il donne aux résultats du sondage le genre de tournure dont il a le secret. « Difficile de demander aux anglophones de se solidariser avec la majorité dans un conflit linguistique où ils sont perçus comme le problème. […] On s’attend à ce qu’ils comprennent les préoccupations des francophones, mais pas le contraire. Comme si, du fait qu’ils habitent en Amérique du Nord, les Anglos n’avaient pas de véritables préoccupations. »
Voir ainsi les anglophones comme victimes linguistiques en Amérique du Nord vous mérite de somptueuses subventions d’Ottawa. Qui permettent de commander à Léger Marketing plein d’enquêtes pour hausser votre cote médiatique. Cette fois, Jedwab vise le gros lot.
« Ne croyez-vous pas que le français soit réellement menacé dans la métropole ? » lui demande L’Actualité. « C’est l’objectif qui a changé, répond Jedwab.
« Avant, on visait à ce que la langue française progresse. Et c’est clair que des progrès importants ont été réalisés. Quatre-vingt pour cent des anglophones se disent capables de converser en français […].
« Mais on a déplacé la cible. Maintenant, l’objectif est de faire du français la langue commune de la vie publique. C’est-à-dire qu’il faudrait entendre le français partout. C’est inatteignable, et c’est ce qui insécurise la population francophone. Certains s’inquiètent dès qu’ils discernent de l’anglais dans un commerce. Mais c’est illusoire de croire que tout le monde va parler français dans l’espace public. Il y a des anglophones à Montréal, et ils ont la manie de parler anglais ensemble ! »
C’est plus fort que lui. Jedwab, supposément historien, ment comme il respire.
Nous sommes en 2012. La commission Gendron a recommandé en 1972 de faire du français la langue commune du Québec. Ça fait 40 ans. Et 35 ans depuis que Camille Laurin en a fait la pierre angulaire de la loi 101.
Jedwab essaie de nous faire avaler que jusqu’à maintenant, la politique linguistique québécoise n’a eu pour but que de faire en sorte que les anglophones apprennent le français. Et que ce n’est que d’aujourd’hui qu’elle voudrait aussi qu’ils s’en servent.
Jedwab travestit du même souffle l’objectif du français langue commune. Il présente ça comme si ça voulait dire que tout le monde ne doit parler que le français en public. Y compris les anglophones lorsqu’ils parlent entre eux. Tout pour braquer la minorité anglophone. Et pour culpabiliser la majorité francophone.
La politique québécoise n’a pas de telle visée assimilatrice. Le français, dénominateur commun pour communiquer entre personnes de langues maternelles différentes. Aucunement pour interdire l’usage de l’anglais entre anglophones. Ni de l’arabe entre arabophones.
Sur son blogue, Lisée s’étonne de la réaction de Jedwab dans The Gazette. Il joue à son tour à la vierge offensée : « [Jedwab] avait pu longuement – et sobrement – donner son point de vue sur le sondage dans les colonnes du magazine, juste après mon analyse. »
Sobrement ? Qu’y a-t-il de sobre à nous garrocher des mensonges en pleine face ? En s’attardant aux attaques ad hominem de Jedwab, Lisée a raté une belle occasion de défendre l’idéal collectif du français langue commune.
Il a préféré mousser son concept fumeux de « prédominance ». Dans sa réplique à Jedwab parue dans The Gazette, Lisée confie : « Je languis du jour où tous les Québécois sentiront qu’il y va de leur intérêt d’assurer la prédominance de la langue française au Québec. » [traduction libre]
La prédominance du français se trouve toujours parmi les valeurs fondamentales que la version en ligne du programme du Parti québécois propose de constitutionnaliser. Il est toutefois rassurant de voir que dans les condensés du programme que distribue actuellement le PQ, « Le français : langue commune des Québécois » a retrouvé sa place dans la Constitution québécoise à venir.
L’Office québécois de la langue française a reçu en 2002 le mandat de faire rapport au moins tous les cinq ans sur, entre autres, les attitudes des différents groupes linguistiques. Cela lui revient de nous renseigner en particulier sur celles des Anglo-Québécois envers notre langue commune. Non pas à partir d’un groupe de répondants traficoté, mais au moyen d’enquêtes qui permettent d’en suivre l’évolution avec un minimum de confiance dans les résultats.
Dix ans plus tard, on attend toujours.
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