Khadir prête serment d'allégeance aux «mal pris»

«En attendant que le peuple du Québec, comme celui de l'Irlande, se libère des vestiges archaïques de la monarchie britannique comme le serment à la reine [...], en attendant que le Québec soit une république moderne et démocratique...»

Actualité québécoise - vers une « insurrection électorale »?



Dutrisac, Robert - Québec - Les premiers mots d'Amir Khadir, tout juste assermenté à titre de député de Mercier et premier élu de la courte histoire de Québec solidaire, furent pour dénoncer le serment d'allégeance à la reine Elizabeth II que tout député est forcé de prononcer avant de faire son entrée à l'Assemblée nationale.
«En attendant que le peuple du Québec, comme celui de l'Irlande, se libère des vestiges archaïques de la monarchie britannique comme le serment à la reine [...], en attendant que le Québec soit une république moderne et démocratique...» C'est en ces termes qu'Amir Khadir a commencé sa brève allocution dans le Salon rouge devant des membres de sa famille et quelques dizaines de militants de Québec solidaire, dont sa co-porte-parole, Françoise David.
Amir Khadir a affirmé que, même s'il avait prêté serment à la reine, son «allégeance ultime» allait à ceux dont parle Gérald Godin dans un poème qui remonte à 1976, au moment de l'élection du poète comme député de Mercier. «T'en souviens-tu Godin astheure que t'es député de l'homme qui frissonne en attendant l'autobus de petit matin après son shift de nuit?», a récité Amir Khadir, les «mal pris», «celui qui couche dans la neige, ceux qui ont deux jobs pour arriver».
Dans son premier point de presse, Amir Khadir est apparu aux côtés de Françoise David. Il faudra s'habituer à ce «deux pour un»; ce sera la norme. «On va être tous les deux tout le temps, a dit le député. Je suis, si vous voulez, le leader de l'aile parlementaire, et on peut penser que Mme David, en fait, est la leader de l'aile extraparlementaire.»
L'élection d'Amir Khadir comme unique député de Québec solidaire, le 8 décembre, est un scénario que Françoise David redoutait profondément. Dans une lettre à ses militants à l'automne 2007, elle l'avait qualifié de scénario «le plus difficile» pour la direction bicéphale de la formation politique de gauche. «Dans les faits, il deviendrait à peu près le seul porte-parole de Québec solidaire. Donc à réfléchir», écrivait-elle dans cette missive où elle remettait en question le choix du parti d'avoir deux porte-parole.
Mais hier, au Parlement, Françoise David paraissait parfaitement à l'aise dans ce rôle de «leader extraparlementaire», un titre qui aurait l'avantage de remplacer le disgracieux terme de «co-porte-parole». «Québec solidaire est en liesse aujourd'hui», a-t-elle déclaré. Elle a soutenu que Québec solidaire «n'est pas qu'un parti politique montréalais», parce que la formation politique de gauche a obtenu plus de 4 % des voix dans 29 circonscriptions, dont la moitié sont à l'extérieur de Montréal. La leader a signalé que Québec solidaire avait plus de 10 % des voix dans six circonscriptions, sans toutefois mentionner que ce sont toutes des circonscriptions montréalaises, dont Gouin, où Mme David a fini deuxième avec quelque 30 % des votes.
Selon Mme David, l'élection d'Amir Khadir a frappé l'imagination des gens. «Ce n'est pas tout le monde qui nous prend pour des espèces de, je ne sais trop, gauchistes extraterrestres qui ne comprennent rien à rien», s'est-elle réjouie.
Pour Amir Khadir, «il faudra bien que le Québec arrive au XXIe siècle» et se débarrasse de la monarchie constitutionnelle. «Ça passe sans doute par l'instauration d'une république, et je ne vois pas comment on peut y arriver sans passer par la souveraineté.»
Il y a maintenant deux partis souverainistes à l'Assemblée nationale comme il y avait avant deux partis fédéralistes, le Parti libéral et l'Action démocratique du Québec, a souligné Amir Khadir. «Ça fait longtemps que le vote des souverainistes est éparpillé», a rappelé le député. QS est rattaché historiquement au Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN) de Pierre Bourgault et d'Andrée Ferretti, juge M. Khadir. Et l'arrivée à l'Assemblée nationale d'un élu de QS va aider le projet souverainiste, croit-il.
QS demande aux autres partis d'accorder un statut particulier à Amir Khadir et au parti à l'Assemblée nationale: une question par semaine pour le nouveau député et un budget de recherche de quelque 100 000 $ à l'instar de l'ADQ en 1994. Les deux porte-parole rencontraient hier la chef du Parti québécois, Pauline Marois, après avoir fait de même avec le premier ministre Jean Charest lundi. «Nous comptons sur l'ouverture et le sens démocratique aussi du Parti québécois», a dit Françoise David.
Amir Khadir a semblé vouloir tempérer les propos durs que Françoise David et lui-même avaient eus à l'endroit de Mario Dumont et de l'ADQ à la veille du scrutin du 8 décembre. Le député de Mercier a salué le «courage politique» de Mario Dumont. Il a rappelé que les électeurs avaient rejeté les idées de l'ADQ ainsi que «les propos parfois frisant la xénophobie» et cet acharnement contre les plus démunis de la société.
Le premier rôle d'Amir Khadir, c'est «de défendre l'intérêt parfois un peu chauvin» des électeurs de Mercier, a-t-il signalé. Mais le député de QS se veut aussi le défenseur des immigrants du Québec, «ma famille», a-t-il dit. QS porte également la revendication de «tout un secteur de la société qui se trouve exclu de l'Assemblée nationale», c'est-à-dire les verts, notamment. Il a aussi insisté sur la nécessité immédiate de la réforme des institutions démocratiques et l'instauration de la proportionnelle.
Amir Khadir voit dans la crise économique qui s'annonce une occasion de «sortir de sa dépendance à un certain vieux modèle axé sur le béton, sur le développement économique à tous crins», de cette croissance et de cette consommation «qui s'accompagne de tous les ravages qu'on connaît». QS propose de hausser dès maintenant le salaire minimum à 10,20 $, mais les hausses d'impôt réservées aux mieux nantis et aux grandes entreprises doivent attendre. «Nous ne sommes ni gauche caviar ni gauche radicale», a-t-il affirmé. Et ce ne sera pas à QS à faire des compromis, à se placer plus au centre maintenant que le parti a un élu à l'Assemblée nationale. «Nous allons appeler de plus en plus les partis du centre à faire des compromis sur l'essentiel, qui est à gauche, heureusement: justice sociale, écologie, respect de la culture et de la langue», a fait valoir Amir Khadir.


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