Kaybecistan...

Le plaisir d'inventer fait l'événement

Chronique d'André Savard

Il y a des arabes unitaristes. On les appelle les panarabistes. Pour eux, le Moyen-Orient devrait être totalement arabe comme l'Amérique du Nord est anglaise. Je ne crois pas que les Québécois se sentent beaucoup d'affinités avec ce genre d'individus. Les Québécois n'aiment pas les rouleaux compresseurs de quelque côté qu'ils viennent. Devant la crise libanaise ils ont été attentifs au présent, à la souveraineté bafouée, à l'acte, au mouvement militaire.
Le National Post a préféré une attitude figée, carrément comme dans un club, une secte. Il s'agit de se déclarer favorable parce que ça vient d'Israël. L'Israël qu'ils aiment, ils le confondent avec un commandement militaire. Mettez Israel dans un cadre libre et ouvert, au-delà de leur état mental issu semble-t-il de leur lecture des bandes dessinées Capitaine America, ils n'y comprendront plus rien. Ils réduisent la culture juive à une coalition de factions politiques.
Le Canada tel qu'on le connaît, celui que vante Harper comme un modèle du sublime colonialisme anglais, a commencé par une occupation militaire. Comment s'étonner alors que les Québécois soient antimilitaristes? Le National Post aimerait bien que nous applaudissions comme eux car ils tiennent leurs applaudissements comme la manifestation la plus haute du libre arbitre occidental. Il aimerait qu'on répète en choeur la conclusion tant débitée par Stephen Haper dans ses discours: “Que Dieu bénisse notre terre du Nord et protège nos foyers et nos droits”.
Libre au National Post d'y voir le summum de la pensée. Je préfère pour ma part élargir mes horizons et méditer les midrach de Rabbi Akiba et Rabbi Ishmaël. Dans le Talmud les notions de conquête, force, expansion ne sont pas qualifiées de saintes. Cependant l'interdit du meurtre ne remet pas en cause la légitime défense pour préserver son droit de vivre.
Il y a ceux qui disent aimer la Bible mais c'est plutôt les moeurs bibliques qu'ils affectionnent. Le National Post voyait la dévastation et s'attendait à qu'on y voit l'oeuvre de l'Ange du repentir. Il suivait le régiment en prêchant la vertu, convaincu d'assister à la poursuite du méchant.
Au cours de la crise libanaise, j'ai observé les regards qu'un périodique comme Der Spiegel de langue allemande et le journal El Pais dirigeaient sur les événements. À peu près personne ne voyait dans ce grand déploiement militaire le boulot d'un rêveur démocratique distingué. Le National Post préfère à chaque coup de canon penser qu'un mystère plane. Derrière l'anecdote il y a un secret, la promesse d'un avenir pacifique bâti par les authentiques amis du monde.
Pour le National Post il y a les amis du monde versus les ennemis du monde. Les vrais amis du monde viennent des bassins de civilisations découpés selon un schème géopolitique assez précis. Ils viennent d'Angleterre, de Winnipeg jusqu'à la limite des Outaouais, de Tel-Aviv ou du Texas. Par contre si vous êtes issu d'un mariage pure-laine québécois et que, comble d'infamie, l'union de vos parents a été scellée lors d'une liturgie célébrée par le chanoine Groulx, arrière! C'est eux qui connaissent l'amour du monde, le font parler et danser dans la bonne langue, l'attrapent là où il faut.
Je reste étonné même après toutes ces années de politique canadienne de voir combien les beaux principes peuvent être un masque. Tout ce qui porte cachets, signatures du gouvernement canadien est habité par une sorte de double transcendant selon les activistes canadiens. Les beaux principes que les activistes canadiens croient a priori défendre servent à signifier que le Canada plaide partout, toujours pour la grande cause.
En même temps que Barbara Kay attribue au gouvernement canadien la responsabilité de la grande cause, elle invente aux Québécois une cause de toutes pièces. Ils sont consacrés antisémites. Ils ont profité de la crise libanaise pour publier leurs torchons, nous apprend le National Post. Le National Post active ainsi la grille-repère avec ses antécédents déclarés comme le Chanoine Groulx qui doit se tourner dans sa tombe. Lui qui fut un admirateur du peuple juif, il a appris qu'il était antisémite grâce à l'information volontariste du Canada. Il apprend maintenant que comme inspirateur du nationalisme québécois il est le précurseur du Québécistan dévoué à la grandeur d'Allah.
[ Barbara Kay juge la fiction plus efficace que le réel->1510]. C'est d'ailleurs le bon jugement afin de ne pas contredire son journal Le National Post. On ne peut reprocher à celui qui reproduit ses erreurs de manquer de cohérence. Son train est parti pour le ciel, l'autre pour l'enfer. Il n'y a qu'à foncer en droite ligne.
Barbara Kay dans le National Post ou [McPherson dans le journal The Gazette->1535] sont tout à fait d'accord pour être les guignols de l'unitarisme canadien. Ils présentent le Québec comme substantiellement attaché au grand Fédéral. Ils éprouvent le besoin de satisfaire leurs penchants acariâtres en dessinant un Québec imaginaire, le Quebecistan, comme des gamins dessinent des pendus sur les murs.
Les Québécois sont les alliés potentiels des terroristes, nous informe Barbara Kay. Pourquoi ne pas les faire balancer à une corde alors? Dans ce Canada “protecteur de nos foyers et nos droits”, Barbara Kay et Mc Pherson nous servent des contes très simples, des thèmes schématiques. Ils ont remplacé Barbe-Bleue par le Québécistan.
Il y a un air de déjà-vu dans ces sermons aussi répétitifs que ceux d'un prêcheur. Dans les années soixante-dix il était de bon ton de soupçonner la filière cubaine derrière le mouvement indépendantiste. L'Occident a toujours son ennemi. Comme par hasard, dans ces journaux, on découvre que le Québec est l'avant-poste de l'ennemi du jour.
Cette manie de nous marier à celui qui tient le rôle de l'être impur remonte aux origines de notre pays quand les Anglais nous accusaient de mener la Franco-Indian War.
Barbara Kay ou Mc Pherson viennent coiffer quelques siècles de propagande. Il ne s'agit pas de savoir mais de faire entrer dans le crâne à quel mobile l'adversaire obéit.
Un jour le mobile c'est la race pure. À l'instant même c'est la pure extase de tuer par haine de la liberté comme les terroristes. Quelques décennies plus tôt, les indépendantistes apprenaient qu'ils voulaient établir un goulag communiste en Amérique du Nord. On obéit à notre vocation en tout cas. On poursuit le mal dans sa version la plus récente. On est à jour. C'est déjà ça de pris...
Barbara Kay et Mc Pherson n'ont pas besoin de savoir ce que disent les midrach ou de connaître le travail de Lionel Groulx pour ce qu'il a été vraiment. C'est beaucoup plus efficace au plan stratégique de reproduire un conte qui fait dresser les cheveux des enfants de sept à soixante-dix sept ans. Il n'y a pas à savoir. Il faut expliquer, commenter en suivant la ligne éditoriale et rendre croyable aux hommes ce qui doit être croyable.
Le Québécistan... On imagine un territoire désertique et froid où on poursuit des enfants qui s'échappent sur le fleuve. Dans les montagnes, des terroristes lâchent des cris inhumains. Les séparatistes, créatures d'épouvante, rugissent à leur tour et le ciel s'emplit des bruits de l'abîme et de l'au-delà.
Avec Barbara Kay et Mc Pherson, nous apprenons périodiquement que nous avons cédé à la tentation abominable. Ils ont découvert qui nous sommes comme collectivité. Nous sommes ceux qui cèdent au tentateur. Ils ont découvert la chose nue. Si comme Québécois nous protestons, ils expliquent que c'est parce que nous trouvons notre nudité indécente.
Les lecteurs du National Post et de The Gazette trouvent ça bien normal. Les monstres n'aiment pas les photos ressemblantes. Quant aux belles personnes, elles tiennent à ressembler à la photo et recherchent la prochaine copie de National Post. C'est là qu'on apprend que la cause indépendantiste n'est qu'un alibi et qu'on y peint leur hypocrisie.
Barbara Kay va peut-être découvrir où et quand André Boisclair a assisté à une camp d'entraînement militaire dirigé par un imam. Pendant que Stephen Harper prend sa nation pour le glaive de la civilisation, les séparatistes lisent peut-être le Coran en catimini et se prennent pour le glaive de Dieu. Il y a tant d'histoires terrifiantes à découvrir. On pense souvent que le National Post et The Gazette ont atteint le maximum du fignolé. On les sous-estime.
Jadis on croyait que l'événement faisait le journaliste. Au Canada le plaisir d'inventer fait l'événement.
André Savard


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