Quand la Vérité se déchaîne - 1

Jusqu’où ce déchaînement ira-t-il ?

On dit toujours la vérité ! Mais pas toute toujours ! Ni rien que !

Commission Bastarache

- Le serment des témoins : «"Posez votre main droite sur l’Évangile. Jurez-vous de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ? Dites : “Je le jure.” »
On dit toujours la vérité ! Mais pas toute toujours ! Ni rien que !
En effet, la vérité est interne à l’acte de parler qui étrangement la comporte comme doublure inéluctable, que vous mentiez ou pas. Parce qu’elle est toujours adressée à quelqu’un, la parole comporte en elle-même la question revenant de mon interlocuteur, « mens-tu ou pas quand tu me dis que… »
De la même manière que l’eau est inhérente à l’acte de se laver les mains, de la même façon la vérité est connaturelle à la parole fut-ce pour s’en laver les mains. Seulement voilà, cet alliage ne paraît pas toujours dans sa pureté, comme l’électrum, composé d’or et d’argent dont on faisait les anciennes pièces de monnaie. Comment alors séparer le bon grain du dire vrai, si j’ose dire ? Quel mécanisme pour isoler la vérité de ma parole de ce que j’énonce ?
En d’autres termes, si la vérité n’est pas toujours l’objet de notre discours, elle est cependant coulée dans l’énonciation, dans le fait de parler ; et par voie de conséquence, si l’homme est un animal doté de la parole, il est également celui qui introduit la fonction de la vérité pour ne pas parler de la vérité tout court, car vérité et parole sont d’un seul tenant.
Telles sont une fois de plus les questions soulevées par cette commission Bastarache comme elle se trouvèrent soulevées jadis par la commission Gomery. Devant l’obligation de se déterminer par la parole, il n’est de parade que de feindre l’amnésie, ce que Jean Charest a instinctivement fait lorsqu’il fut interrogé par l’avocat de Marc Bellemare.
Pareil à M Corriveau et consorts.
Pourquoi ?
Parce que, cavale indomptable, nul ne sait d’avance sur quelles terres la Vérité va galoper sitôt qu’elle se sera élancée.
Alors, pour éviter que comme un chien fou, la vérité ne se déchaîne, elle a été encadrée, ligotée, préformée, à ne devoir se restreindre qu’à la seule nomination de juges sous le régime Charest. Même si le bon peuple attend que Bastarache lui laisse la bride sur le coup, le bon juge la harnache, évitant qu’elle cavale.
Alors pourquoi prendre tant de risques ?
L’intérêt de ces commissions même dans le cadre restreint qui leur est réservé est précisément d’opérer cette catharsis nécessaire de la parole fourchue de nos politiciens chez qui la dénégation est devenue pratique courante, diplomatique, comme on le dit avec euphémisme. Comme dans l’apprenti-sorcier (1) de goethéenne mémoire, en armant le balai de la justice pour lui faire faire plus vite le travail (qu’une commission d’enquête sur la construction), Jean Charest a déchaîné l’armée des balayeurs qui pourraient bien en l’occurrence se muer en nettoyeurs des écuries d’Augias. (2)
Infatué de sa propre suffisance et souffrant mal la contestation, le Pouvoir se glorifie de ce semblant de patte blanche qui risque de lui glisser entre les doigts en croyant détruire le petit impétrant présomptueux, à qui pourtant on a déjà directement ou indirectement montré la porte !
Il n’en reste pas moins que comme dans la fission nucléaire, les réactions en chaîne se produisent et nul ne sait quel coffrage de béton, de plomb, de quelle construction, pourra contraindre cette vérité une fois déchaînée.
Le Code pénal punit comme coupables de concussion les fonctionnaires ou officiers publics ainsi que leurs commis ou préposés, qui ordonnent de percevoir, exigent ou reçoivent ce qu'ils savent « n'être pas dû ou excéder ce qui est dû pour droits, taxes, contributions, deniers ou revenus, ou pour salaires et traitements »1. Le Code pénal, en son article 432-102 définit et sanctionne ce délit d'une peine de prison accompagnée d'une amende.
Ce crime au Québec semble banalisé sous les termes de corruption
Je suggère que dès la prochaine législature, les partis d’opposition exigent des punitions exemplaires pour toutes les formes de concussion comme c’était le cas jadis. (3)
Donc tout n’est pas perdu, il est bon de voir que dans le champ social, qui fonctionne tout autrement que l’espace discursif individuel, les structures de régulation mises en place, permettent également ce déchaînement que nous goûtons infiniment pour l’heure.
Jusqu’où ce déchaînement ira-t-il ? Telle est la question car nous savons peu de choses des raisons pour lesquelles JJC a pris ce risque, sinon pour en encadrer la cavalcade et éviter que l’animal ne s’emballe. Ceci suppose qu’un secret pourrait se dévoiler, une malversation se révéler, le gouvernement tomber ou le peuple se révolter.
Car c’est bien là la seule chose que le gouvernement craigne, non pas de tomber mais la révolte. Or nos deux organisations politiques principales respectent des règles de bienséance qui font rigoler nos adversaires qui appliquent à la lettre la contrepèterie qui je l’espère ici me ralliera les lecteurs que j’ai peut-être un peu malmené par mes propos : ces gens préfèrent rigoler dans une gondole (fédérale) que se gondoler dans une rigole (provinciale). Quand nous ne serons plus des mollassons et que nous aurons admis que la source qui nous abreuve nous empoisonne du même coup, nous trouverons la force commune de DÉCLARER TOUT HAUT UNILATÉRALEMENT notre indépendance.
Quand la vérité se déchaîne… fini de rire
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(1) Un jeune apprenti sorcier tente d'animer un balai pour que l'objet effectue son travail, c'est-à-dire remplir une bassine d'eau en prenant des seaux et en les vidant, tout un trajet à parcourir, que son maître, parti faire une course, lui a assigné. [...] Le balai s'arrête sur le moment, mais [...] L'apprenti, qui avait déjà du mal à contrôler un balai, doit maintenant faire face à des centaines de balais. L'eau déborde et inonde la demeure du magicien, qui devient une piscine géante. Ce dernier arrive enfin et répare les dégâts provoqués par l'apprenti, on reconnaît d'ailleurs dans son regard (Dans Fantasia, de Walt Disney Pictures) que son maître est hors de lui, mais reste calme. Les quatre dernières notes (claquantes) font penser à une gifle punissant l'imprudent.
(2) Écuries d'Augias Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre. Le nettoyage des écuries d'Augias est l'un des douze travaux d'Héraclès (ou d'Hercule chez les Romains). Augias, roi d'Élide, possédait, comme son père Hélios, d'énormes troupeaux de bétail. Mais ses écuries étaient tellement sales qu'on ne pouvait plus y rentrer, elles n'avaient plus été nettoyées depuis plusieurs dizaines d'années. Il fut exigé d'Héraclès qu'il nettoyât leurs étables en une seule journée, ce qui n'avait jamais été fait auparavant. Il y réussit en détournant les fleuves Alphée et Pénée, si bien que leur cours traversa les lieux en entier. Ce travail ne fut cependant pas comptabilisé car Eurysthée prétexta qu'Héraclès avait demandé à Augias de le payer pour accomplir la tâche.
Augias ne versera d'ailleurs jamais ce paiement (il avait promis un dixième de son troupeau) et chassa Héraclès quand il vint le lui réclamer. Irrité, Héraclès leva une armée, prit la ville d'Élis et tua Augias ainsi que tous ses fils sauf un, Phylée, qui avait pris le parti d'Héraclès. En récompense, le héros le plaça sur le trône d'Élide, le faisant ainsi succéder à son père.
(3) Historique modifier] Passible sous l'Ancien Régime de peine capitale, la [concussionn'est plus aujourd'hui frappée que d'emprisonnement, suivant la qualité du coupable et l'importance des sommes indûment exigées ou reçues. L'Histoire a retenu le nom des coupables de concussion suivants :
Dante Alighieri : condamné au bûcher, il est contraint à l'exil.
Giraud Gayte, trésorier de Philippe V le Long. Il meurt sous la torture au palais du Louvre et son corps est exhibé au gibet de Montfaucon.
Jacques de Beaune, surintendant des finances de François Ier. Il est pendu à Montfaucon.
Blaise de Monluc, lieutenant-général de Guyenne, est accusé d'avoir détourné à son profit l'argent royal ainsi que les bien des huguenots de Guyenne après la paix de Saint-Germain. C'est pour répondre à ces accusations qu'il rédige ses célèbres Commentaires.
Nicolas Fouquet, surintendant des finances, disgracié par Louis XIV et, au terme d'un long procès, jeté en prison où il meurt.
Francis Bacon (philosophe) (1621)
Fabre d'Églantine, condamné et guillotiné pendant la Révolution française


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    8 septembre 2010

    Dans son livre intitulé, Jeanne d'Arc, vérités et mensonges, Colette Beaune, historienne et spécialiste du cas Jeanne d'Arc, elle écrit à la page 68 :
    « Entre 1350 et 1450 se conjuguèrent la crise économique, la peste, les défaites contre l'Angleterre et enfin le schisnme au sein de l'Église qui vit la chrétienté avoir deux, puis trois papes rivaux. On put croire que le monde vieillissait, se détraquait, voire même approchait de sa fin. Rois, nobles et prélats, tous ceux qui étaient institutionnellement en charge du peuple échouaient et s'avéraient incapables de trouver une réponse aux malheurs des temps ».
    Comme quoi rien ne change. Et l'Histoire se répète.

  • @ Richard Le Hir Répondre

    8 septembre 2010

    Excellente analyse pour laquelle votre profession vous qualifie tout particulièrement.
    Mais la vérité, toute libératrice soit-elle, ne se laisse pas facilement harnacher, et elle peut facilement s'en aller dans toutes les directions, ceci dit sans aucun désir d'en restreindre l'expression ou la diffusion.
    dans une société qui étouffe sous le poids du politiquement correct, du non-dit, et des demies vérités quand ce n'est pas sous celui du mensonge, la vérité ne peut pas faire autrement qu'avoir un pouvoir explosif. C'est l'histoire du couvercle vissé sur la marmite à pression. Plus la pression augmente, et plus l'explosion est forte. Voir le mur de Berlin,l'URSS, la Yougoslavie, et tant d'autres exemples, y compris ceux qui sont à notre mesure comme la Révolution Tranquille.
    À tous ceux qui espèrent que si le couvercle doit sauter,il le fera "raisonnablement", il faut dire que tranquillité n'est pas vertu. Vient un moment où les écuries sont tellement sales que seule une puissance herculéenne peut en venir à bout. Une puissance toute sauf tranquille. Quand on fait le bilan de la Révolution tranquille, il faut bien se rendre compte que nous ne sommes pas allés jusqu'au bout et qu'elle reste à achever. C'est en laissant exploser la vérité que nous y parviendrons.
    Richard Le Hir