Joseph Krulic, expert en droit international : "Le Groenland pourrait tout à fait devenir américain"​

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Sortir de la naïveté souverainiste québécoise : « L’autodétermination des peuples n’est pas vraiment un principe reconnu par la communauté internationale »

Le président américain Donald Trump a fait savoir qu'il aimerait que les Etats-Unis achètent au Danemark le Groenland, immense île de l'Arctique peuplée de 56.000 habitants. Joseph Krulic, historien et spécialiste de droit international, apporte son éclairage sur l'état actuel du droit international sur la question.


Marianne : Peut-on sérieusement envisager que les Etats-Unis rachètent le Groenland ?


Joseph Krulic : Même s’ils ne sont pas très récents, il y a eu des précédents en la matière : les Etats-Unis ont acheté la Louisiane à la France de Napoléon, en 1803, et l’Alaska à la Russie en 1867, mais aussi les Îles Vierges en 1917 (au Danemark déjà!). Dans ces trois cas, l’une des conditions nécessaires était que le vendeur soit d’accord, ce qui n’est apparemment pas le cas du Royaume du Danemark, ni des Groenlandais. Mais, bien évidemment, les temps ont changé depuis le XIXe siècle, et le principe qui prévaut aujourd’hui en matière de changement de souveraineté est celui défini dans la Convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969. Aujourd'hui l'achat d'un territoire n'est plus guère concevable en droit international.


Cette convention autoriserait-elle le Groenland à se rattacher aux Etats-Unis ? La plupart des entités ayant fait sécession après la chute du mur de Berlin demeurent dans une sorte de purgatoire, non reconnues par la communauté internationale…


Il y a deux principes dans la Charte des Nations Unies : le droit souverain des Etats (article 1 et 2 de la Charte) et l’intangibilité des frontières, telle que définie dans l’arrêt de la Cour internationale de Justice de La Haye de 1985, Burkina Fasso contre Mali. En cas de sécession, le principe de l’Utis Posidetis Juris s'impose : les nouvelles frontières doivent respecter les limites des entités fédérales. Cela signifie, très concrètement, que l’Ukraine ou la Croatie avaient en 1991 le droit de sécession (respectivement de l’URSS et de la Yougoslavie), mais pas les communes serbes de Croatie, sauf accord réciproque des Etats ou nouveaux Etats intéressés. Dans cette logique, une région française comme la Bretagne ou la Corse ne peut pas faire sécession car la France est un Etat unitaire. Idem pour la Crimée, rattachée à l’Ukraine par Khroutchev en 1954, qui n’avait pas ce droit en 2014, pas plus que le Donbass, sauf accord librement consenti entre Kiev et Moscou. Bref, l’autodétermination des peuples n’est pas vraiment un principe reconnu par la communauté internationale, en dehors des cas de décolonisation, en vertu, sur ce point, d’un vote de l’Assemblée générale des Nations unies de 1960.


Justement. L’île de l’Arctique de 56.000 habitants était une colonie danoise jusqu'en 1953, date à laquelle elle est entrée dans la "Communauté du Royaume" danois, avant d’obtenir le statut de "territoire autonome" en 1979. Donc, si un référendum se prononçait pour cette vente, elle pourrait avoir lieu ?


Le Groenland est un ensemble autonome en situation de fédération avec le Danemark, tout comme l’Ecosse par rapport à la Grande Bretagne. La volonté de sa population, du fait qu’il a été dans une situation de colonisation avant 1953, devrait être prise en compte, et il serait donc tout à fait en droit de prendre son indépendance s'il le souhaitait. Voire de se rattacher aux Etats-Unis, directement comme Etat (voir l’Alaska depuis 1958 et les îles Hawaï depuis 1959) ou indirectement (ainsi la situation de Porto Rico, des îles Mariannes, dont Guam, ou les îles Marshall, les îles Vierges dans les Caraïbes).


* Historien, spécialiste de droit international