Jacques Parizeau, la suite

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Monsieur, le grand diplomate

On a beaucoup parlé du Jacques Parizeau l'économiste. Mais il fut aussi un grand négociateur et un stratège génial.
En 1994, Parizeau arrive au pouvoir à Québec, avec le mandat non pas de négocier une quelconque entente mais bien de faire l'indépendance. Avec la promesse de tenir un référendum dans un délai rapproché. Dans une telle démarche, il est fondamental, dit-il, que la France nous appuie pendant tout ce processus. Si le OUI sort gagnant, il est indispensable que la France reconnaisse immédiatement (Jacques Parizeau insiste: «immédiatement») notre victoire.
Avec les États-Unis, c'est une autre paire de manches. Pour arriver à la Maison-Blanche, il faut y aller de manière détournée. Nous n'avons pas accès à cette sphère de pouvoir. Ce qu'on veut, à cette étape-ci, c'est que le gouvernement des États-Unis demeure le plus neutre possible. Mais pour cela, il faut qu'il y ait une pression sur eux. Et cette pression, c'est la France qui va l'exercer.
Jacques Parizeau avait déjà eu des discussions avec des sénateurs américains et d'autres hauts fonctionnaires et il en arrivait toujours à la même conclusion: «On ne peut pas vous demander d'être notre premier appui, on sait que vous ne pouvez pas faire ça à vos cousins canadiens, c'est trop demander. Mais si la France fait les premiers pas, ce sera alors plus facile pour vous.»
Que feraient, en toute logique, les Américains? se dit Parizeau. Ils consulteraient l'ambassade française à Washington, pour savoir si cet appui est bien réel. Il fallait donc mettre le Quai d'Orsay de notre bord, afin que l'ambassadeur français à Washington réponde positivement. Ainsi, les États-Unis seraient dans l'obligation morale de nous appuyer, sans trop blesser les susceptibilités canadiennes.
UN AGENT SECRET
«C'est long comme opération», révèle Jacques Parizeau. Grâce à Michel Rocard, un grand ami du Québec, il rencontre Mitterrand, qu'il soignera avec la plus grande attention. «À partir de ce moment, toutes les portes s'ouvrent. Mitterrand nous a rendu des services immenses, même s'il n'a pas le panache d'un de Gaulle.» Mitterrand et Parizeau s'entendront pour nommer une personne de confiance qui agira comme lien direct entre les deux hommes. Une sorte d'agent secret dont il n'a jamais voulu me dévoiler le nom, «car c'est une personne encore très active».
À quelques mois du référendum, le chancelier allemand Heinrich Kohl doit effectuer un voyage officiel au Canada et on le supplie, à Ottawa, de se prononcer contre le projet souverainiste du Québec, en jouant sur le fait que la Bavière pourrait suivre l'exemple du Québec et que c'est donc risqué pour l'unité de l'Allemagne. Parizeau envoie une note personnelle à Mitterrand, à travers cet «agent secret», pour qu'il intervienne à son tour auprès de Kohl. Et effectivement, le chancelier allemand viendra faire sa visite, on le suppliera de faire une déclaration contre le projet souverainiste, mais il s'abstiendra de le faire.
«C'est un jeu délicat, la diplomatie, ça se construit lentement, en recherchant l'appui de tout le monde», affirme un Jacques Parizeau hilarant, et il excellait dans ce jeu. Le premier ministre Parizeau se méfie énormément du délégué général du Québec à Paris, qui lui se méfie également des souverainistes. Pas question de le renvoyer, cela soulèverait trop de vagues. Alors, il enverra Yves Michaud pour en faire son «agent personnel à Paris». Michaud aura pour mission de surveiller la réalisation du scénario français, même si délégué général du Québec à Paris lui mettra souvent les bâtons dans les roues.
À quelques mois du référendum, Jacques Parizeau décide de prendre des vacances au Mexique. Mais son cabinet lui fait part d'une rumeur persistante: «La France serait en train de nous lâcher». Sa femme reviendra seule à Montréal. De Mexico, Parizeau prend le premier vol pour Paris, en ayant pris soin de demander une rencontre urgente avec Alain Juppé, le chef de la diplomatie française, car il veut en avoir le cœur net. À Charles-de-Gaulle, il prend un taxi et se rend tout de go au Quai d'Orsay. Juppé le reçoit, flanqué de tous ses conseillers, «le noyau dur de la diplomatie», dit-il. «Lorsque je lui fais part de la rumeur, Juppé regarde ses conseillers à gauche, puis ceux à droite, puis il me dit: "On ne vous lâchera jamais". Je suis rentré ensuite à Montréal, rassuré.»
Grâce à son talent de négociateur et parce qu'il savait oser, Jacques Parizeau nous a ouvert de nombreuses portes. Malheureusement, plusieurs d'entre elles risquent de se refermer si M. Couillard se comporte non pas en chef d'État mais en premier ministre de province et d'un non-pays.


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