Islamophobie : L’instrumentalisation d’un drame

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« Si le Québec s’engage sur ce terrain de la proclamation d’une « Journée nationale contre l’islamophobie », il deviendrait lui-même le fossoyeur de ses propres libertés. »

L’auteur est chargé de cours à l’UQAM et membre du Rassemblement pour la laïcité |


Ainsi, après s’être lancé dans la contestation judiciaire des prescriptions de la loi 62 visant l’interdiction du niqab et de la burqa aux fins de prestation et de réception des services publics, le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) exige maintenant que le 29 janvier de chaque année, se référant à l’attentat survenu à Québec en janvier dernier contre une mosquée, devienne une « Journée nationale contre l’islamophobie ». Il instrumentalise cet événement tragique pour relancer une croisade contre « l’islamophobie ».


Lors de cette tuerie horrible, les Québécois ont pourtant très largement, voire presque unanimement, condamné le geste d’Alexandre Bissonnette. Ils ont manifesté leur sympathie envers les victimes. Loin d’être antimusulman, le peuple québécois s’est donc rangé du côté des victimes et de leurs familles. Le Québec serait-il donc soudainement rongé par « l’islamophobie » au point qu’il s’impose annuellement une séance annuelle de flagellation et de victimisation sur cette prétendue affliction ? Pour trois raisons fondamentales, cette demande doit être jugée irrecevable.


Dans un premier temps, pourquoi statuer sur la nécessité d’une journée annuelle de lutte contre l’islamophobie alors que rien ne prouve hors de tout doute que le geste posé par Alexandre Bissonnette l’ait été au nom de « l’islamophobie ». Jusqu’à maintenant, l’auteur de cette tuerie ne dit rien, refuse pratiquement de parler. L’enquête n’est pas terminée et suit son cours. Les motifs du tueur ne sont toujours pas élucidés. A-t-il agi pour des motifs idéologiques, par haine des musulmans, sous l’influence d’une doctrine d’extrême droite, à cause de troubles psychiatriques ou pour d’autres mobiles ? Nul ne le sait pour le moment, sauf, semble-t-il, le Conseil national des musulmans canadiens, qui voit dans cet événement l’expression de « l’islamophobie ». La sagesse exigerait donc de ne rien précipiter et de ne rien conclure avant le dénouement judiciaire de cette affaire. Si le geste posé le 29 janvier 2017 se révélait véritablement de nature antimusulmane (expression qui devrait s’imposer en remplacement du concept « d’islamophobie »), il faudrait alors le condamner doublement.



Un concept stratégique


D’autre part, le choix du thème de cette journée nationale proposée serait la dénonciation de « l’islamophobie », concept stratégique privilégié depuis les années 1980 et 1990 par la Ligue islamiste mondiale et l’Organisation de la coopération islamique (largement dominée par l’Arabie saoudite) qui propagent l’idéologie islamiste et combattent férocement toute remise en question de ses dogmes. Les salafistes et les wahhabites ne donnent pas non plus à ce concept un contenu explicite. Le flou est manifestement entretenu. En l’occurrence, il n’y a pas, dans l’expression « ISLAMOphobie », de distinction entre « islam » et « islamisme ». Tout ce qui s’oppose à l’islam ou même à l’islamisme est confondu et combattu. Pas de différence entre une haine et une violence prônée contre les musulmans eux-mêmes, qui doit évidemment être condamnée, et une contestation d’une idéologie islamiste dont les principes rétrogrades peuvent démocratiquement et légitimement être réprouvés. Le piège, c’est que ce concept d’islamophobie ne laisse aucune place au débat démocratique, à la remise en question. Tout ce qui s’oppose aux dogmes de l’islamisme est sur-le-champ condamné, conspué, relégué au rang des mécréants, des racistes, des xénophobes ou des « islamophobes ». Raïf Badaoui en sait quelque chose ! Partout dans le monde, en France, en Belgique, au Québec et ailleurs, les partisans de la laïcité sont tout particulièrement la cible de ces accusations insensées.


Conséquemment, si le Québec s’engage sur ce terrain de la proclamation d’une « Journée nationale contre l’islamophobie », il deviendrait lui-même le fossoyeur de ses propres libertés. Bien sûr, les Québécoises et les Québécois doivent condamner tout appel à la haine ou la violence envers les musulmans, mais ils ont en retour tout à fait le droit de critiquer les intégrismes religieux, l’oppression de certaines idéologies politico-religieuses, l’apartheid sexuel pratiqué envers les femmes, les accommodements religieux discriminatoires ou l’obscurantisme.



D’autres événements tragiques


Enfin, pourquoi propose-t-on une « Journée nationale contre l’islamophobie » et non pas une journée de commémoration pour les Canadiens et Québécois morts, ici comme ailleurs dans le monde, à la suite d’attentats menés par des djihadistes, ces combattants islamiques aveuglés par leur idéologie ? On pense notamment aux deux personnes tuées lors d’attentats à Ottawa (Nathan Cirillo) et à Saint-Jean-sur-Richelieu (Patrice Vincent) ainsi qu’aux six victimes de l’attentat de Ouagadougou de janvier 2016 (Yves Carrier, Charlelie Carrier, Maude Carrier, Louis Chabot et Suzanne Bernier). Sans compter ceux qui ont été touchés à gauche et à droite au fil des attentats à travers le monde. Bizarrement, on n’en parle plus, de ces gens-là ! Comme si ce n’était rien ! Comment le Québec et le Canada peuvent-ils les oublier ? Aucun député, aucun ministre, aucun gouvernement, aucun média ne réclament de commémorer ces tragiques événements. Pourtant, les assassinats djihadistes de Ouagadougou ont eu lieu aussi en janvier, non pas en 2017, mais en 2016.


Les Français ont au moins la décence de rendre hommage chaque année aux victimes de Charlie Hebdo ! Si le Québec se laisse berner par la proposition du CNMC, on pourra tous dire bientôt « Pauvre Québec ! »