PAR NORMAN DELISLE
QUEBEC (PC) - Le soir de l'élection du 15 novembre 1976, il y a 30 ans, le nouveau premier ministre du Québec, René Lévesque, avait préparé deux discours avant de s'adresser à ses partisans.
Le premier devait être utilisé en cas de "victoire morale", c'est-à-dire l'élection d'une quinzaine de députés péquistes à l'Assemblée nationale. Le second était prévu en cas de victoire "majeure", soit une victoire dans 30 ou 35 comtés.
Mais à 22h00, c'est un troisième texte que M. Lévesque a dû improviser devant des milliers de partisans enthousiastes massés au Centre Paul-Sauvé, dans l'Est de Montréal. Le Parti québécois venait de défaire le gouvernement libéral de Robert Bourassa et obtenait la majorité absolue des sièges à l'Assemblée nationale.
"Nous ne sommes pas un petit peuple. Nous sommes peut-être quelque chose comme un grand peuple. Jamais de ma vie j'ai pensé que je pourrais être aussi fier d'être québécois", a dit René Lévesque devant la foule en délire.
"La foule était en délire. C'était l'euphorie partout", se rappelle Bernard Landry, candidat péquiste lui-même élu dans Fabre.
Le Parti québécois avait mené une solide campagne électorale, en face d'un Parti libéral désabusé, sans âme, discrédité par des scandales et critiqué pour sa gestion.
Fort d'une majorité sans précédent avec 102 des 110 sièges à l'Assemblée nationale, le premier ministre libéral Robert Bourassa avait déclenché des élections le 18 octobre 1976 après trois ans de pouvoir, en dépit des avis contraires exprimés par les membres de son conseil des ministres et de son groupe de députés.
La campagne a été tout croche pour les libéraux. Lors d'un débat radiodiffusé en début de campagne, M. Bourassa a rappelé à M. Lévesque que le Parti québécois avait mené à la faillite le quotidien Le Jour, créé en 1974 par le parti souverainiste pour promouvoir ses idées. Mais la cinglante réplique était venu rapidement: le Parti libéral n'avait pas été capable lui non plus de gérer convenablement son club social appelé Club La Réforme, qui avait dû fermer ses portes quelques mois auparavant. "J'ai les papiers de la faillite du Club en main, si le premier ministre veut les examiner", avait lancé un René Lévesque narquois.
Les libéraux avaient fait adopter la loi 22 qui faisait du français la langue officielle du Québec. Mais la loi prévoyait des tests dispensés aux enfants d'âge préscolaire pour déterminer leur droit de s'inscrire à l'école anglaise. Les Anglo-Québécois, irrités par ces tests imposés à de trop jeunes enfants, avaient délaissé le Parti libéral qu'ils appuyaient traditionnellement pour donner leur voix à l'Union nationale dirigée par Rodrigue Biron.
De plus, les agissements du gouvernement libéral depuis six ans avaient donné l'image de mollesse, d'une gestion relâchée, à la morale élastique, que certains allaient jusqu'à qualifier de "corrompue".
Dans les régions
Lentement, depuis huit ans, le Parti québécois avait tissé des liens solides avec plusieurs organisations dans toutes les régions du Québec: des syndicats d'enseignants, des mouvements nationalistes, des syndiqués du domaine manufacturier, des associations de jeunes, des groupes étudiants universitaires ou collégiaux.
Des candidats avaient été soigneusement choisis dans toutes les circonscriptions du Québec, autour d'un noyau de vétérans tels les anciens sous-ministres Jacques Parizeau et Claude Morin, ou les psychiatres Camille Laurin et Denis Lazure, ou la vedette de la télévision Lise Payette.
René Lévesque avait lui-même troqué son complet débraillé et sa mèche rebelle pour une tenue soignée, plus digne de celle d'un chef d'Etat.
Toute la campagne électorale péquiste avait été axée sur la nécessité de doter le Québec d'un "vrai gouvernement", au lieu de porter sur la souveraineté.
Cette stratégie avait amené dans le giron péquiste de nombreux électeurs qui ne croyaient pas nécessairement à l'indépendance, mais qui voulaient se débarrasser du gouvernement Bourassa.
Finalement, vers 22h00, le 15 novembre 1976, 68 députés péquistes étaient déclarés élus. Quatre autres devront passer par un recomptage devant un juge avant de connaître leur sort définitif. Ce sont Denise Leblanc aux Iles-de-la-Madeleine, Jean Alfred dans Papineau, Jocelyne Ouellette dans Hull qui seront déclarés élus, et Charles Tremblay, dans Saint-Hyacinthe, qui sera défait.
Au Canada, l'élection du Parti québécois cause un tremblement de terre politique. Mal renseignés par leurs médias, les Anglo-Canadiens n'avaient pas vu venir la montée du Parti québécois. Les résultats sont renversants.
Mais dans son discours télévisé, le premier ministre sortant Robert Bourassa saura trouver les mots pour les calmer, en leur demandant de respecter le choix démocratique des Québécois.
Le résultat final du vote donnera 71 sièges au Parti québécois, 26 aux libéraux privés de leur chef battu dans Mercier, et 11 à l'Union nationale de Rodrigue Biron. Le créditiste Camil Samson et l'indépendant Fabien Roy étaient également élus.
Mais la mauvaise nouvelle pour les vainqueurs, c'est que le PQ n'a recueilli que 40 pour cent des suffrages et ne l'a emporté qu'en bénéficiant de la division des voix de l'adversaire.
C'était un mauvais présage pour le référendum qui sera tenu quatre ans plus tard.
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