Ce texte est une réponse à la chronique État de choc 2 de ma collègue Lise Ravary.
J’écoutais récemment une chronique fort intéressante d’Aurélie Lanctôt à Medium Large sur la « reine des instapoétesse » Rupi Kaur, une écrivaine canadienne d’origine indienne. Au cours de sa chronique, Aurélie Lanctôt saluait la quête identitaire de cette auteure en tant que moteur de création.
J’ai trouvé ça inspirant. Ça m’a donné le goût de m’intéresser à l’œuvre de cette instapoétesse.
Aussi, je me suis posé la question à savoir pourquoi en notre époque, ici, chez nous, on perçoit comme « inspirantes » toutes les quêtes identitaires du monde sauf la nôtre.
Car il est chargé d’émotion ce mot quand on l’applique à la défense, à la promotion, à l’exultation de notre identité.
Oui, oui. Je l’ai dit. NOTRE IDENTITÉ.
Je nous sens, en cette époque trouble, au cœur d’une folle course afin que nous puissions cimenter cette identité, afin que nous regagnions le droit de la nommer et de la célébrer.
C’est que dans votre texte madame Ravary, vous évoquez le principe de « l’insécurité identitaire » des Québécois de la façon suivante :
« Pour plusieurs, seule l’indépendance viendrait à bout du problème en donnant aux Québécois la sécurité identitaire qu’ils réclament.
Mais il est trop tard. Ce yogourt-là avait une date de péremption : le 30 octobre 1995. »
Permettez-moi d’abord de préciser quelque chose. Grand voyageur, l’insécurité identitaire, je l’ai sentie un peu partout dans le monde. Quand j’ai baroudé partout dans les Andes, chez l’habitant Aymara, ou encore non loin des mines de Potosi, chez les Quechua. Mais aussi dans le Canada anglais. On en parle moins, mais un fort attachement identitaire -en dehors du seul ciment multiculturaliste - existe chez nos voisins.
C’est que tous ne sont pas des adeptes de la doctrine « post-nationale » et de la promotion tous azimuts du multiculturalisme à la sauce Trudeau. Loin de là.
Je suis de ceux qui pensent que l’un des gestes de rupture fondamentale que devrait poser le Québec afin d’assumer pleinement sa distinction du Canada serait, précisément, de rompre avec le multiculturalisme en adoptant les principes de laïcité républicaine.
En lui-même, ce geste de rupture serait un signal fort que le Québec n’a pas à être assujetti à un modèle de gestion de la diversité que la majorité des Québécois rejette.
Et c’est la somme des gestes de rupture qui sont à poser envers le Canada qui continue de justifier que l’idée de l’indépendance pour le Québec n’aura jamais de date de péremption.
Et pourquoi avoir choisi, arbitrairement, la date du 30 octobre 1995? Ne pourrait-on pas évoquer plutôt celle du 26 octobre 1992? On ne pourra jamais douter de la clarté de la question qui fut posée à la population canadienne ce jour-là : « Acceptez-vous que la Constitution du Canada soit renouvelée sur la base de l'entente conclue le 28 août 1992? »
Le résultat fut plus clair que celui de 1995, et pas besoin de commission Gomery. 54,3% des Canadiens et des Canadiennes ont dit non, dont 56,7% au Québec.
En grande partie, c’est la notion de « Québec à titre de société distincte » qui avait été rejetée. Ce fut la gloire de Preston Manning et des Réformistes par la suite. Se pourrait-il que le yogourt fût déjà bien fané?
À moins que l’on regarde cette date de péremption d’une autre manière. À la lumière de déclarations comme on en entendait dans les cercles fédéralistes en 1995; « si ça ne passe pas cette fois, grâce au vieillissement de la population et à l’immigration, s’éteindra toute velléité d’indépendance... »
Il ne faut pas trop en parler de ce tabou. Surtout ne pas le nommer. Je dérogerai à la norme pour le bien de l’exercice. Il s’agit de cette grossière entreprise d’instrumentalisation de l’immigration pour « noyer la majorité historique francophone ».
J’emploie ici à dessein les termes noyade et majorité historique francophonetels qu’ils réfèrent à l’héritage de René Lévesque sur ces questions. C’est Mathieu Bock-Côté qui rappelait récemment un discours de Lévesque sur l’immigration lors de l’élection de 1970 :
« On s’est donné un ministère de l’immigration. L’autre, à Ottawa, pour lequel on paye, y a le droit de continuer à nous noyer, c’est lui qui a le pouvoir. Mais on en a un à Québec pour enregistrer la noyade ».
On imagine à peine le tollé que provoquerait la déclaration suivante si elle devait être prononcée par un ténor indépendantiste aujourd’hui. Il n’aura fallu que François Legault n’évoque la simple possibilité que l’on devrait peut-être réfléchir à ralentir la cadence de l’immigration pour que le PM Couillard l’accuse de « souffler sur les braises de l’intolérance ».
Et si réclamer le simple respect de l’identité collective de la nation québécoise n’avait rien d’un projet xénophobe ou raciste? Et s’il était tout à fait légitime que cette nation espère que ceux qu’ils accueillent est très (trop) grand nombre, chaque année, s’engagent à respecter certaines valeurs fondamentales? Une société francophone, laïque, pluraliste, égalitaire, républicaine et distincte du Canada.
Il est bien possible que cette nation ait très bien compris qu’on est en train de la noyer. On lui pardonnera quand même de protester un peu. Car malgré tout, elle le prend plutôt bien vous ne trouvez pas madame Ravary?
Et tant que l’assimilation de la nation québécoise à la grande courtepointe multiculturelle canadienne ne sera pas chose accomplie, il subsistera un fort courant au Québec pour trouver que le contrôle plein et entier de tous les leviers de gouvernance demeure la seule véritable façon d’assurer la pérennité d’une nation francophone en Amérique du Nord.
La « date de péremption » madame, ça n’existe pas. Le processus d’assimilation est, par contre, bien réel. Et le refus du Canada de s'accommoder de la moindre notion de « distinction » pour le Québec y contribue grandement. Il fut une époque où les fédéralistes québécois s’en désolaient.
Si vous cherchez une « date de péremption »...