À force de poser les «vraies questions» à Bernard Drainville, on est en train de passer à côté de la vraie histoire.
La vraie histoire, c'est qu'un journaliste qui occupe une des fonctions les plus enviables à Radio-Canada, qui est père de trois jeunes enfants, décide de se lancer en politique, à une époque où l'occupation est réputée ne vous attirer que des ennuis.
Il se lance en politique dans une circonscription assez sûre pour le PQ, certes. Mais il le fait avec un chef contesté, sans la moindre assurance que le parti prenne le pouvoir. Il fera moins d'argent, il va se faire attaquer (ça commence bien), il ne s'appartiendra plus.
Virez ça du bord que vous voudrez, insistez lourdement sur cette petite zone grise dans le coin de son âme journalistique si vous voulez, rappelez qu'il a ce congé sans solde comme parachute, fondamentalement c'est un geste d'engagement parfaitement honorable qu'il vient de faire.
Jacques Dupuis et Mario Dumont étaient franchement mauvais dans le rôle du cocu boudeur, hier. Comme ça, Drainville serait parti avec des secrets formidables que ces partis lui ont confiés en prévision des élections?
Voyons donc. On parle ici de secrets de polichinelle, de confidences de pacotille, que dans le métier tout le monde appelle du «spin». Qu'a bien pu dire de confidentiel l'attaché de presse de l'ADQ à Bernard Drainville qui pourrait faire saliver l'organisation péquiste?
Par définition, ces fausses confidences sont destinées à être ébruitées dans les médias, mais sans attribution de source. Le but est d'orienter l'analyse journalistique et l'opinion publique. Ça donne au Téléjournal des phrases du genre : «Selon des sources bien placées, Bernard (Derome), je peux vous dire que les libéraux pensent que».
Un collègue anglophone était presque comique quand il lui a demandé : «Depuis quand êtes-vous souverainiste?» sur le ton de l'interrogatoire de Richard Nixon (le fameux «Que saviez-vous et quand l'avez-vous su?»). On est payé pour laisser ses opinions à la maison, a dit Drainville calmement, et avec raison.
Cela dit, il y a une zone grise et si le principal intéressé nous disait toute la vérité, ça ne nuirait pas. Mercredi, Jacques Parizeau demande à sa femme si Drainville voudrait faire de la politique. «Je me demandais si c'était une blague». Méchante blague : il a passé deux jours et demi à y penser!
Le vendredi, il a appelé André Boisclair pour dire non. Pourquoi, le mardi suivant, a-t-il changé d'idée? Ça dépend des entrevues. À Desautels, à la radio de la SRC, il a fait allusion à l'idée de déménager. Si on parle de géographie, c'est qu'on lui a proposé une circonscription quelque part qui ne faisait pas son affaire. Mais il ne veut pas le dire. Il nous dit que le vendredi, tout était réglé. Il n'a pas été en ondes pendant ses deux jours de réflexion. Qu'aurait-il dû faire de plus? Pourquoi aviser ses patrons, puisqu'il reste à Radio-Canada?
Sa résolution n'était pas si ferme, puisqu'il avait demandé à un collègue, samedi, de se tenir prêt à le remplacer pour interviewer Boisclair. Il y a probablement eu un moment où il s'est dit que ça n'avait pas de sens d'interviewer le chef à qui il disait non à regret la veille!
Il n'en reste pas moins qu'il a fait une entrevue irréprochable politiquement parlant du chef péquiste. Qu'il ait à la blague averti ce dernier de bien faire parce que l'entrevue allait être diffusée six fois n'indique rien, sauf la familiarité qui a cours au Parlement entre journalistes et politiciens, et à plus forte raison entre gens du même âge. Mauvais procès.
Il est au pire coupable d'avoir branlé dans le manche quatre jours de trop, et d'imprudence. Mais certainement pas d'espionnage politique, ni de complaisance partisane, ni de haute trahison journalistique.
L'essentiel à mes yeux est ailleurs. Dans cet engagement, certes plein d'ambition, mais de toute évidence sincère. Je garde donc le pot pour une meilleure occasion, et lui envoie même quelques pétales.
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