Stéphane Cossé - Ce qui il y a encore quelques mois paraissait impensable vient de se reproduire en Irlande : la mise en place d'un plan de sauvetage financier d'un Etat au sein de la zone euro. Le constat est là : l'appartenance à la zone euro n'est pas un certificat de garantie. Les créanciers considèrent qu'il existe un risque de défaut d'un Etat de la zone euro et que celui-ci ne sera pas sorti d'affaire par sa seule appartenance à une union monétaire.
Qui aurait cru, il y a quelque temps, que le Fonds monétaire international (FMI) interviendrait à deux reprises au sein de la zone euro ? Aucun mécanisme de soutien n'avait été envisagé. Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne (BCE), disait lui-même qu'une telle intervention constituerait une "humiliation". Il y a bien en effet un paradoxe à voir la zone euro, le premier actionnaire du FMI (23 % en cumulé contre 17 % pour les Etats-Unis), secouru par cette institution. Pour tous ceux qui vivent avec une "fierté européenne" et se réjouissent de l'influence que détient la BCE, cela n'est pas facile à accepter.
Et pourtant cette relation qui se construit entre la zone euro et le FMI ne constitue-t-elle pas les prémices d'une nouvelle gouvernance économique mondiale fondée sur des grandes zones économiques, voire monétaires, régionales ? La zone euro pourrait être en effet pionnière dans la constitution d'une nouvelle organisation qui serait constituée autour de grands principes.
Premièrement, la mise en place de fonds régionaux de stabilité financière. Le Fonds européen de stabilité financière, doté aux deux tiers de ressources européennes et un tiers du FMI, pourrait être un modèle pour des fonds régionaux similaires. L'Asie a constitué un Fonds monétaire asiatique (initiative de Chiang Mai), sous forme d'accords de swaps (contrats d'échanges de flux financiers) multilatéraux. A cette époque, elle voulait se passer justement de l'appui "humiliant" du FMI. L'Europe avait alors exprimé ses réserves sur une telle initiative unilatérale.
Le temps est peut-être venu de reformaliser cette initiative, tout en s'assurant que le FMI puisse intervenir. Ainsi se construiraient des plans de sauvetage financiers plus équilibrés, à la fois respectueux des souverainetés régionales mais aussi soucieux d'élaborer des solutions justes et collectives évitant le repli sur soi. Dans la même veine, on pourrait imaginer la constitution d'un autre fonds pour le continent américain et, pourquoi pas, l'Afrique.
Deuxièmement, on le constate de plus en plus, la gouvernance du FMI mériterait une refonte ambitieuse. La récente réforme visant à rééquilibrer de 6 % la place des pays émergents au sein du conseil d'administration du FMI va certes dans le bon sens. Mais elle ne prend pas en compte l'émergence de zones économiques régionales ou monétaires.
Il serait ainsi plus rationnel que l'Union européenne, ou a minima la zone euro, soit représentée par un seul siège au conseil d'administration. Serait alors posée la question des autres sièges : ne pourrait-on évoluer dans cet esprit vers un conseil d'administration qui fonctionnerait comme un Conseil de sécurité économique sur la base de grands pôles économiques régionaux, comme Jacques Delors l'avait suggéré ? L'efficacité de l'institution en serait renforcée.
Troisièmement, serait alors soulevée légitimement la question d'un nouvel ordre monétaire mondial. Plutôt que de s'engager dans un processus de dévaluations compétitives qui ne peut mener l'économie mondiale qu'au chaos, il faudrait examiner la possibilité de créer sur la base de ces grands pôles économiques régionaux une unité de compte commune sous la forme d'un panier de monnaies représentatif. Les droits de tirage spéciaux (DTS), panier constitué du dollar, de l'euro, de la livre sterling et du yen, émis et géré par le FMI, constituent une base utile, qui doit être repensée au sein de cette gouvernance reconfigurée.
Au total, ce qui pourrait apparaître comme choquant est peut-être un bien. Plutôt que d'opposer le FMI à l'Europe et au reste du monde, examinons comment le Fonds européen de stabilité financière construit à la hâte peut devenir au contraire un modèle et un vecteur de coordination et de stabilité économique et financière. Voilà qui pourrait constituer un thème de l'un des groupes de travail constitués par la présidence française du G20.
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Stéphane Cossé, ancien "senior economist" au FMI et maître de conférences à l'IEP Paris
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