Ignatieff répond à ses détracteurs

Le candidat au leadership du PLC propose un «fédéralisme de la reconnaissance et du respect»

Course à la chefferie du PLC

Ottawa -- C'est un Michael Ignatieff énergique et confiant qui a prononcé hier un discours à saveur électorale devant quelque 200 étudiants et des dizaines de journalistes à l'Université d'Ottawa. Le député libéral fédéral a détaillé pendant plus de 30 minutes ce qui deviendra dans quelques jours le coeur de son programme lors de la course à la direction du Parti libéral du Canada (PLC), passant en revue des sujets comme l'économie, la place du Canada dans le monde, l'environnement, le fédéralisme et le Québec. En entrevue au Devoir peu après son allocution, M. Ignatieff a d'ailleurs confirmé qu'il sera sur les rangs pour succéder à Paul Martin.


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Des manifestants ont accueilli le futur candidat au leadership libéral avec des cris de protestation. On lui reproche surtout d'avoir appuyé l'invasion américaine en Irak, alors qu'il enseignait aux États-Unis en 2003.
_ Agence Reuters
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La salle de l'Université d'Ottawa qui accueillait la conférence de Michael Ignatieff était bondée hier. À l'extérieur, les deux gardiens de sécurité avaient du mal à retenir les dizaines d'étudiants, de professeurs et de curieux qui ont dû être refoulés, faute de place. D'autres, moins sympathiques à la venue de l'ancien professeur de Harvard, ont accueilli le futur candidat au leadership libéral avec des cris de protestation. On reproche surtout à M. Ignatieff d'avoir appuyé l'invasion américaine en Irak alors qu'il enseignait aux États-Unis en 2003.
Bien préparé, M. Ignatieff a rendu chacun des coups de ses opposants. D'abord sur cette intervention américaine en Irak, qu'il qualifie aujourd'hui d'«erreur». «J'ai essayé d'être une personne sérieuse, a-t-il dit dans son discours. Être sérieux, cela signifie s'en tenir à ses convictions. Je suis allé en Irak en 1992 et j'ai vu ce que Saddam Hussein avait fait aux Kurdes et aux chiites. À ce moment-là, j'ai décidé de les appuyer, quoi qu'il arrive. Je n'ai jamais cessé de les appuyer.»
En point de presse, il a ajouté que sa position aurait probablement été différente s'il avait été député à l'époque. «On n'envoie pas des soldats à l'étranger, dans une mission dangereuse ils peuvent se faire tuer, sans l'accord de la population. [...] Je respecte vraiment la décision de M. Chrétien [de ne pas avoir envoyé de soldats en Irak]. À cette époque, j'ai pris une décision selon mes convictions personnelles, celles d'un professeur dans le domaine des droits de la personne à Harvard. Je suis maintenant élu, je représente des gens, je suis imputable. Ça change complètement les décisions qu'on peut prendre», a-t-il dit.
Ensuite, bien conscient du fait que ses détracteurs soulignent à gros traits son absence prolongée du pays, lui qui a passé près de 20 ans en Grande-Bretagne comme journaliste et cinq ans aux États-Unis comme professeur, il a servi cette réplique : «Mes opposants disent que j'ai été absent du pays pendant longtemps. Ils semblent avoir oublié les années que j'ai passées à enseigner à UBC [en Colombie-Britannique] et au Banff Center for the Fine Arts, [...] les livres et les articles que j'ai consacrés aux problèmes du Canada. Pour moi, c'est comme si je n'étais jamais parti. Mais oui, j'ai visité le monde. Pour voir son pays de façon claire, il faut parfois s'en éloigner», a-t-il soutenu.

Visiblement d'attaque, Michael Ignatieff semblait être déjà en campagne, ce qu'il a d'ailleurs confirmé au Devoir. «La réponse est oui», a-t-il dit lorsqu'on l'a interrogé sur son intention de sauter dans l'arène. «Mais je pense que je dois lancer officiellement ma course à Toronto, avec mes électeurs. C'est plus respectueux.» Le député sera donc le troisième candidat sur les rangs après l'avocate Martha Hall Finley et l'ancien ministre John Godfrey. Pour l'instant, les trois candidats annoncés sont tous de Toronto.
Michael Ignatieff est bilingue et particulièrement à l'aise devant une foule et au milieu de la faune médiatique. Intellectuel souvent comparé à Pierre Elliott Trudeau, M. Ignatieff a d'ailleurs cherché hier à tuer dans l'oeuf cette comparaison. «Je suis toujours flatté quand on me compare à lui, mais laissez-moi être clair : il y a eu un seul Trudeau et il n'y en aura pas d'autre.»
De fait, les deux hommes ne se ressemblent pas sur plusieurs points. Par exemple, hier, Michael Ignatieff a reconnu l'existence d'une «nation québécoise», ce que Trudeau n'aurait jamais fait. Le député a même poussé plus loin en disant que le nationalisme civique comme il se pratique au Québec n'est pas une mauvaise chose, une phrase que n'aurait jamais prononcée Trudeau, qui exécrait toute forme de nationalisme autre que canadien.
Ses positions sur le Québec et le fédéralisme sont d'ailleurs souvent -- mais pas tout le temps -- éloignées de la vision de Trudeau. Surfant sur la vague d'un renouvellement du fédéralisme amorcé par Stephen Harper, Michael Ignatieff désire mettre en avant un «fédéralisme de la reconnaissance et du respect» dans lequel le Québec sera à l'aise.
«Nous devons penser à l'unité nationale d'une autre façon. Depuis trop longtemps, nous associons l'unité nationale au défi posé par le Québec. Souvenons-nous du rôle énorme joué par les Québécois dans la genèse de notre nation; rappelons-nous la tradition continue d'innovation politique provenant du Québec et qui a inspiré le reste du Canada à compter de la Révolution tranquille et au-delà : il est clair que le Québec n'a jamais représenté le problème canadien. Au contraire, les Québécois ont toujours fait partie de la solution», a-t-il dit, soutenant que l'unité nationale a maintenant un visage multiple qui va d'une meilleure coexistence entre les villes et les campagnes jusqu'à une intégration plus efficace des communautés culturelles.
Le candidat affirme même que le Québec devra un jour ou l'autre signer la Constitution, sans quoi «les fondations de notre nation ne seront jamais solides». Mais avant de s'attaquer à cette lourde tâche, les «conditions» devront être réunies, a soutenu Michael Ignatieff. Lesquelles ? «Ce sera un long travail, a-t-il dit au Devoir. Il faudra de la bonne volonté et attendre le bon moment. Aujourd'hui, je voulais d'abord montrer que c'est un défi important et qu'il ne faut pas l'écarter. Ça va prendre quelques années avant d'avoir les bonnes conditions et, pour les créer, il faudra mettre en pratique un fédéralisme de reconnaissance. C'est-à-dire que le fédéral devra se mêler de ses oignons et les provinces de leurs oignons.»
Il se dit d'ailleurs favorable à la reconnaissance du Québec à l'UNESCO, à la condition que la voix canadienne reste forte et que le discours du pays sur la scène internationale demeure cohérent.
Par contre, tout en prêchant en faveur d'un régime fédéral respectueux des provinces, Michael Ignatieff veut également s'attaquer aux titres de compétence professionnelle et aux frais de scolarité, entre autres. Ce sont pourtant des domaines réservés aux provinces. «Le gouvernement fédéral a la responsabilité de maintenir un espace économique national. En avons-nous vraiment un si les travailleurs québécois n'ont pas le droit de travailler en Ontario ? Si les accréditations professionnelles reconnues dans une province sont refusées dans une autre ? Si les étudiants doivent payer davantage pour étudier dans une autre province que la leur ?», a-t-il demandé.
N'y a-t-il pas là une contradiction ? «C'est vrai, ce sont des compétences provinciales, a-t-il reconnu. Mais c'est à l'avantage des Québécois de faire tomber les barrières entre les provinces. Je veux travailler avec les provinces pour réduire les obstacles.»
S'il reconnaît l'existence du déséquilibre fiscal, Michael Ignatieff soutient toutefois qu'il faut le résoudre grâce à un meilleur système de péréquation, voire avec des transferts plus généreux aux provinces. Mais pas question de céder des points d'impôt ou un autre champ fiscal. «Un transfert permanent du pouvoir fiscal aux provinces endommagerait l'unité nationale», a-t-il dit, ajoutant que le rôle principal d'Ottawa est justement de maintenir l'unité canadienne.
Selon lui, les Québécois vont se reconnaître dans sa vision. Il fait d'ailleurs de la province une grande priorité. «L'avenir de notre parti passe par le Québec, a-t-il dit. C'est notre principal défi. Être à 12 % des intentions de vote chez les francophones, c'est un désastre. Il faut remonter la pente.»


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