Ignatieff contre Rae et Dion

Course à la chefferie du PLC


D'ici à la fin de l'automne, les libéraux fédéraux devront décider si Michael Ignatieff a l'étoffe d'un courageux rassembleur ou s'il est plutôt -- comme le soutiennent Bob Rae et, à un moindre degré, Stéphane Dion -- un dangereux personnage susceptible de remettre le feu aux poudres du débat Canada-Québec.
Ce week-end, Marc Garneau, le candidat-vedette du PLC au Québec aux dernières élections fédérales, a choisi son camp. Dans [un texte publié samedi par le Globe and Mail,->2006] l'ancien astronaute décrit la reconnaissance constitutionnelle du caractère national du Québec comme une étape incontournable et explique longuement combien cette position constitue pour lui un passage sur le chemin de Damas. La question constitutionnelle s'impose de plus en plus comme la grande ligne de démarcation -- en particulier au Québec -- entre trois des principaux candidats à la succession de Paul Martin.
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Comme Michael Ignatieff, Marc Garneau a suivi à distance les débats de Meech et de Charlottettown. Selon Bob Rae, qui était aux premières loges de ces épisodes, cette absence est à la source d'une immense inconscience quant aux dangers inhérents à une reprise du débat constitutionnel. Ce à quoi Stéphane Dion ajoute que, de toute façon, le Canada fonctionne tout à fait bien en pratique. L'un comme l'autre prennent cependant quelques raccourcis avec la réalité.
Dans le Canada qui fonctionne bien de M. Dion, deux des trois partis fédéralistes dont le sien sont absents en tout ou en grande partie de l'Alberta et du Québec francophone. La moitié des compatriotes francophones de Stéphane Dion votent depuis plus de dix ans pour un parti qui s'exclut délibérément du pouvoir à Ottawa et qui a pour objectif la fin de l'union politique canadienne actuelle. Sous un premier ministre résolument fédéraliste, le Québec évolue en parallèle pour ne pas dire en marge de l'union sociale du reste du Canada.
Selon Statistique Canada, l'économie de l'Alberta connaît actuellement un rythme de croissance équivalent à celui de la Chine. Cette croissance fulgurante s'accompagne d'un fort mouvement de population vers l'Ouest canadien. Le coeur économique de la fédération est en voie de se déplacer du centre vers l'ouest, mais la tête politique n'est pas en état de suivre.

La Constitution impose une sous-représentation systémique à l'Ouest canadien. Par exemple, dans l'état actuel des choses, le Nouveau-Brunswick avec 750 000 habitants est assuré à perpétuité d'une plus forte représentation au Sénat que l'Alberta (3,3 millions) ou la Colombie-Britannique (4,3 millions). La formule empêche également ces deux provinces d'occuper la place qui leur revient aux Communes.
Le premier ministre actuel du Canada fait des contorsions pour réformer la Chambre Haute sans passer par la Constitution. Ironiquement, un des effets pervers des manoeuvres de Stephen Harper serait de légitimer une institution au sein de laquelle sa propre base électorale est vouée à la sous-représentation, au moyen de la mise en place d'un Sénat élu.
Dans le régime actuel, les provinces qui dépendent le plus du reste de la fédération pour vivre ont une plus grosse voix au chapitre de sa gouvernance que celles qui vont de plus en plus la faire vivre. La seule façon de corriger cette distorsion consisterait à amender la Constitution. Si, comme Stéphane Dion l'affirme, l'absence d'institutions nationales fonctionnelles n'empêche pas le Canada de réaliser son plein potentiel, on peut se demander si c'est parce que le Parlement fédéral joue un rôle de moins en moins pertinent dans son évolution.
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À l'époque de Meech, la nouvelle formule d'amendement de la Constitution n'avait jamais été mise à l'épreuve. Parmi les cinq dispositions de 1987, certaines requéraient l'unanimité des provinces, d'autres auraient pu être enchâssées dans la Constitution avec l'accord de sept d'entre elles comptant pour 50 % de la population canadienne. Selon les experts, la clause de société distincte faisait partie de cette dernière catégorie.
Mais depuis Meech, la Constitution a été amendée à la pièce à plusieurs reprises, sur la seule foi d'une entente bilatérale entre le Parlement fédéral et la province touchée. C'est ainsi que les obligations du Québec en matière de structures scolaires confessionnelles ont été abrogées à la fin des années 90. En 2002, ces précédents avaient amené le professeur José Woehrling à avancer qu'il serait possible de prendre le raccourci d'un amendement bilatéral pour enchâsser le caractère distinct de la société québécoise dans la Constitution.
Dans tous les cas, à l'occasion du renvoi constitutionnel sur le droit à la sécession du Québec, la Cour suprême a affirmé le droit d'une province de prendre l'initiative de renégocier son statut dans la fédération. Si Jean Charest le voulait, il pourrait faire adopter un amendement dans le sens de la reconnaissance du statut national du Québec par l'Assemblée nationale. Ce concept a déjà été reconnu à l'unanimité par les députés québécois. La balle serait alors dans le camp du Parlement fédéral et, le cas échéant, du reste du Canada.
Devant les hésitations de Stephen Harper en juin, Jean Charest n'avait pas hésité à réaffirmer ses convictions quant au statut de nation du Québec. Mais il s'est fait nettement plus discret devant les ouvertures de Michael Ignatieff. Cela porte à croire que le premier ministre du Québec est d'accord avec le diagnostic de Bob Rae et Stéphane Dion qui sont finalement tous les deux foncièrement convaincus que la volonté politique du reste du Canada en matière de reconnaissance du Québec n'est pas plus au rendez-vous aujourd'hui qu'à l'époque de Meech.
chebert@thestar.ca
Chantal Hébert est columnist politique au Toronto Star.


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