Comment les contrats de longue durée menacent notre avenir
Jusqu'à maintenant, Hydro-Québec a compté sur deux grosses clientèles. Les citoyens-propriétaires, les commerces et les petites et moyennes entreprises, à qui elle vend l'électricité à environ 8 ¢ le kilowattheure, si on inclut les taxes, et les industries, qui bénéficient de tarifs de l'ordre de 4 ¢ le kWh. Pour attirer les très grandes entreprises, des contrats ont été signés pour leur garantir ces tarifs privilégiés pour une durée de 40 ans. De tels avantages ont été consentis pour créer des emplois directs, mais surtout pour développer une industrie tertiaire spécialisée où les emplois sont vraiment payants: dans le cas des alumineries, l'industrie tertiaire n'a jamais été au rendez-vous.
Ces deux premières catégories de clients consomment la majeure partie de la production d'Hydro-Québec. Récemment, une troisième clientèle s'est manifestée, qui représente des profits intéressants pour Hydro, à environ 10 ¢ le kWh. Ce sont les États frontaliers (États-Unis, Ontario...), qui ne sont pas à proprement parler de nouveaux clients, mais la durée des contrats et les obligations d'Hydro sont maintenant enchâssées pour des décennies. Cela laisse peu de place pour la quatrième catégorie de clients très énergivores, qui paiera volontiers 30 ¢ ou plus le kWh; ces clients, c'est vous et moi!
Depuis 2008, Toyota met à l'essai des autos hybrides «rechargeables», c'est-à-dire que le véhicule peut être branché sur une prise de courant domestique pour recharger les accumulateurs; sur les véhicules d'essai, ces accumulateurs donnent une autonomie de 11 kilomètres et permettent des déplacements entièrement faits grâce à l'électricité, sans avoir à démarrer le moteur à gazoline. Ces véhicules devraient être mis en vente en 2111-12. Il va de soi que peu après la plupart des fabricants offriront une telle possibilité.
D'année en année, le rayon d'action en mode tout électrique de ces véhicules croîtra. Lorsque ce rayon d'action aura atteint 25-30 km, ce qui est possible dès maintenant mais pas encore disponible sur le marché, la grande majorité des déplacements urbains pourra s'effectuer en mode électrique: pas de bruit, pas de pollution... et un coût de déplacement dérisoire! Moins de pollution signifie moins de gazoline vendue, et en conséquence l'État recevra moins de taxes, car 75 ¢ sur chaque dollar de carburant vendu actuellement reviennent à l'État. L'État va alors s'empresser de mettre des compteurs dans les véhicules pour enregistrer le nombre de kilowattheures consommés et une taxe comme celle sur l'essence sera prélevée, ce qui fera monter le coût du kilowattheure à plus de 30 ¢. Les hydrodollars remplaceront alors les pétrodollars! Mais même à 30 ¢ le kWh, l'automobiliste sera gagnant par rapport à ce qu'il paie pour l'utilisation des hydrocarbures, en raison de l'efficacité des véhicules électriques, et l'approvisionnement sera assuré... si Hydro-Québec dispose d'assez d'électricité pour répondre à la demande.
Ce virage à l'électricité va s'effectuer progressivement; négligeable au début, il va très rapidement prendre de l'ampleur, certainement en beaucoup moins de 40 ans, et le problème de l'approvisionnement va se poser! En étant liés par des contrats d'une durée de 40 ans, serons-nous obligés d'acheter de l'électricité, de construire des centrales nucléaires ou au gaz alors que nous vendrons notre électricité à 4 ¢?
Il faut dès aujourd'hui réfléchir à ces questions et, avant même que des réponses ne soient apportées, prendre dès maintenant les mesures suivantes:
- ne plus signer de contrats à si long terme. Il me semble que cinq ans devraient suffire;
- au renouvellement des contrats avec les grandes entreprises, relever progressivement le tarif en se basant sur le tarif international, tout en laissant quand même un incitatif «raisonnable». Évidemment, les entreprises vont jurer qu'elles vont aller ailleurs, mais quand la voiture électrique arrivera sur les routes, aucun pays ne voudra céder son électricité à vil prix. Déjà, avec la Sibérie, le Québec est l'endroit où le tarif de l'électricité vendue aux entreprises est le plus bas;
- développer rapidement toutes les ressources énergétiques encore disponibles. Il faut construire tous les barrages possibles et, entre autres, faire revivre le projet «Archipel», qui produirait 500 mégawatts d'électricité au coeur de Montréal. Évidemment, il faut «racheter» les centrales hydrauliques aux entreprises qui en possèdent et qui veulent s'en départir, comme Bowater actuellement.
Devant ces perspectives fascinantes et extrêmement lucratives pour l'avenir de l'hydroélectricité, ce serait pure bêtise que de privatiser Hydro-Québec, et ce serait surtout un rendez-vous manqué avec l'histoire.
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Paul Lavallée, Physicien, professeur de l'UQAM à la retraite
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