Histoire - À dire et à redire

revenir sur le passé fait partie d'une absolue nécessité pour toute société, et que le Québec est loin d'abuser de cet exercice.

Crise d'Octobre '70 - 40e anniversaire


Y a-t-il une vérité sur Octobre 70? Jusqu'où faut-il pousser la relecture de la Grande Noirceur? La Révolution tranquille ne relève-t-elle que du récit enchanté? Et pourquoi reposer ces questions chaque fois que cinq ou dix ans s'ajoutent à une date anniversaire? Parce que revenir sur le passé fait partie d'une absolue nécessité pour toute société, et que le Québec est loin d'abuser de cet exercice.
En France, il y a toujours un anniversaire sous la main qui justifie de ramener l'histoire à la une d'un magazine d'affaires publiques. Un rapide survol de quelques grands titres de la dernière année en fait foi: enquête sur Jules César, retour sur De Gaulle, Camus ou Voltaire. La cible peut être précise — le 400e anniversaire, cette année, de l'assassinat d'Henri IV — ou en prendre très large — la Renaissance tout entière ou, pourquoi pas, les grands mythes de l'histoire de France.
Et c'est là une année tranquille: pas de Révolution française, pas de Commune de Paris, pas d'Algérie ou de Mai 68 à raviver en cet an de grâce 2010!
Ici, en dépit des apparences, les quelques tirs groupés que les médias consacrent à l'histoire ne doivent surtout pas être assimilés à un trop-plein. Le retour sur la Crise d'octobre effectué par les médias ces derniers jours montre au contraire qu'il y a encore tant à dire: des acteurs à écouter, des propos à réentendre, des analyses à confronter. Moins pour la recherche de la Vérité, la seule, l'unique, mais parce que la façon dont chacun des protagonistes reconstruit sa réalité porte en soi des leçons.
Il faut même se réjouir de constater que nous n'avons pas fini de décortiquer les gestes des uns et des autres, un exercice qui nous conduira jusqu'en 2071, lorsque les documents caviardés du célèbre CAD (le Centre d'analyse et de documentation mis sur pied par le gouvernement Bourassa) pourront être consultés, comme Le Devoir le rappelait vendredi.
Mais restera-t-il alors des curieux pour aller ouvrir ces boîtes dont déjà aujourd'hui, peu de personnes se souciaient avant que Le Devoir n'insiste pour les obtenir? Pourtant, il n'y a pas de petite révélation quand des moments marquants pour une société sont en cause: savoir, même des années plus tard, est une exigence démocratique. Et savoir permet de comprendre l'évolution d'une société, dans ses choix concrets comme dans sa psyché.
Au Québec, et sans doute faut-il l'expliquer par notre pays inachevé, il y a toutefois cassure. Du côté public, un désintérêt envers l'histoire, que reflète l'école — où la place réservée à cette matière a trop souvent fluctué —, mais qui se manifeste aussi dans son absence du discours des politiciens, de l'élite, des artistes, des médias, obnubilés par le présent.
Du côté privé, un formidable appétit du grand public pour se faire conter son passé. On l'a amplement mesuré à la télévision comme dans le roman, et cet engouement ne se dément pas. Au palmarès des livres les plus vendus présentement au Québec trônent les ouvrages de Michel David (l'écrivain!) et de Louise Tremblay-D'Essiambre, qui font le plaisir de milliers de lecteurs passionnés par les petites histoires du quotidien de leurs ancêtres pas si lointains.
Notre vie politique, hélas, y est peu abordée alors qu'elle est riche elle aussi de bien des rebondissements. Elle s'inscrit de surcroît dans une trame que l'on aurait intérêt à revisiter pour mieux comprendre là où on est.
Ainsi de Duplessis. On cherche la vraie couleur de la Grande Noirceur (du gros noir ou un léger gris?), mais on ne va pas voir ce qui l'a précédée: la montée en puissance pendant cent ans de la frange la plus conservatrice de l'Église qui sortit le plus souvent victorieuse de ses luttes contre les forces progressistes qui tentaient de faire avancer le Québec. La Révolution tranquille leur donnera finalement cette victoire recherchée dès le XIXe siècle. Mais qui se rappelle ces lointaines batailles qui touchaient notamment l'accès à l'école? Octobre 70, de son côté, doit se lire en relation avec la violence, aujourd'hui tue, dont tout le Québec d'alors était traversé et qui s'exprimait dans les manifestations, les conflits de travail ou le braquage fréquent des banques et des caisses populaires!
De cela, comme de multiples aspects de la Conquête, de la révolte des Patriotes, de la Confédération, de la guerre, il faudrait parler et reparler encore, dans des essais, dans les médias, dans la fiction. Cela se fait... un peu, mais l'effort reste modeste quand on compare avec les lectures multiples, et tant de fois fascinantes, que les Français ou les Allemands peuvent faire de leur histoire, même dans ses épisodes les plus douloureux ou les plus honteux.
En ce sens, l'effervescence qui entoure aujourd'hui Octobre 70, le rappel des années 60... ou les 100 ans du Devoir est une salutaire résistance à la banalisation ou à l'oubli. C'est notre histoire, elle est passionnante, et nous sommes les seuls à pouvoir la raconter. Cet exercice doit continuer.
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jboileau@ledevoir.ca


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