Hausse de salaire et baisse de productivité: mieux payés, les médecins du Québec travaillent moins

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2006-2015 : l'argent donné aux médecins a doublé, pas leur productivité

La hausse de rémunération fulgurante des médecins du Québec depuis 10 ans s’est soldée par une baisse importante de productivité, révèle un rapport dévastateur.


« On a réussi, entre 2006 et 2015, à doubler l’argent qu’on a investi dans la rémunération des médecins, sans augmenter le volume de services », constate un des chercheurs qui a dirigé l’étude, Damien Contandriopoulos, en entrevue avec Le Journal.


Durant cette période, les dépenses liées à la rémunération des médecins sont passées de 3,3 milliards $ à près de 6,6 milliards $, soit une augmentation annuelle moyenne de 8,1 %. De plus, le nombre de médecins a crû de 17 %.


Pourtant, le nombre de visites par médecin de famille a diminué de 17 % pendant les années étudiées ; chez les spécialistes, la diminution est de 12 %. Le nombre de jours travaillés suit la même tendance à la baisse : de 4,5 % chez les omnipraticiens, et de 3,1 % chez leurs collègues spécialistes.


Dans certaines catégories, la performance des médecins a simplement stagné, sans reculer, précise M. Contandriopoulos, également professeur à l’Université de Victoria.


Paiement à l’acte


Pour les chercheurs, le mode de rétribution des médecins est au cœur du problème. « La rémunération à l’acte, ça devrait nous en donner plus pour notre argent, souligne Damien Contandriopoulos. Mais, quand on regarde 2006 à 2015, clairement, ça n’a pas livré la marchandise. »


Ce dernier ne va pas jusqu’à dire que le paiement à l’acte nuit à la productivité des médecins. « Mais si ç’a un effet sur la productivité, il est clairement beaucoup trop modeste », dit-il.


Au contraire, la hausse des sommes accordées aux médecins peut avoir eu un effet pervers sur leur productivité. « Dans un système où on est payé à l’acte et où on augmente beaucoup la valeur des actes, c’est sûr qu’on peut se permettre de travailler moins et de gagner plus », souligne Damien Contandriopoulos.


De plus, la nouvelle génération de médecins valorise plus la conciliation travail-famille, ce qui peut également avoir un impact sur la prestation de services.


Salariat


Pour Damien Contandriopoulos, les médecins qui œuvrent principalement dans un seul établissement devraient être des salariés. « On n’est pas obligés d’appeler ça salariat, dit-il. Ça pourrait être des blocs de temps : pour chaque bloc de trois heures et demie travaillé, le médecin reçoit une rémunération. » Dans le cas du travail en clinique, le paiement à l’acte demeure nécessaire puisqu’aucun gestionnaire n’est présent pour s’assurer que le médecin est présent durant les heures rémunérées.


Et à ceux qui prétendent que le salariat pourrait mener à une baisse de productivité, Damien Contandriopoulos répond : « C’est difficile de voir comment on pourrait faire pire qu’entre 2006 et 2015 avec le paiement à l’acte. »



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DES « ERREURS » DU MINISTRE BARRETTE


Comme une majorité de Québécois, Damien Contandriopoulos juge sévèrement le travail du ministre de la Santé, Gaétan Barrette, depuis le début de son mandat.


Selon les résultats d’un sondage Léger publiés dans Le Journal samedi dernier, 66 % des répondants désapprouvent le travail du ministre.


« Docteur Barrette a fait des erreurs extrêmement importantes dans les réformes qu’il a entreprises », affirme le chercheur, qui a souvent critiqué le travail du ministre sur la place publique.


Compressions


Le chercheur blâme particulièrement le projet de loi 10, qui a aboli les agences régionales de la santé pour créer des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS). « Ç’a laminé la capacité de gouverne du système », estime Damien Contandriopoulos.


« Et quand on fait ça en même temps qu’on impose des coupes brutales aux établissements, on rend le système vraiment dysfonctionnel », ajoute-t-il, en précisant que les compressions étaient une décision de l’ensemble du gouvernement, pas uniquement du ministre Barrette.


Effets à long terme


Pour M. Contandriopoulos, le cri du cœur lancé par les infirmières au cours des dernières semaines de même que les congés de maladie en hausse sont « un effet de ces mauvaises décisions initiales ». « On commence à en voir les effets, parce que ça prend du temps, c’est un gros paquebot », dit-il.


Par contre, le chercheur ne partage pas l’avis de 44 % des Québécois qui estiment que la présence d’un médecin au poste de ministre nuit au réseau de la santé. « Il y a eu toutes sortes de médecins et, quand on regarde nos ministres de la Santé, ils ont été très différents les uns des autres », lance-t-il.


« Si on prend les docteurs Rochon, Hébert ou Barrette, on a trois personnalités extrêmement différentes, avec des façons d’agir différentes », ajoute le chercheur.