Haïti - Organiser le chaos

SPECIAL HAITI


Le premier mouvement, celui de la spontanéité, est crucial, le deuxième, celui du jugement, fait la différence entre l'aide utile et celle qui nuit. Ces deux temps de la réponse à des catastrophes sont déjà difficiles à accepter, et ils se trouvent amplifiés aujourd'hui parce que l'accès instantané à l'information excite le sentiment d'impuissance devant les secondes qui s'écoulent. L'attente est pourtant incontournable.
Les gens qui piaffent d'impatience pour partir donner un coup de main ne comprennent pas que les portes d'Haïti ne leur soient pas toutes grandes ouvertes. Encore faut-il que l'on puisse se rendre sur place, puis que les bénévoles ne nuisent pas au travail. Or les novices de telles aventures, même armés de la meilleure volonté, sont souvent un poids. L'armée canadienne, qui vient de mettre le holà sur le transport de journalistes en Haïti tout comme à son soutien logistique pour ceux déjà sur place, le constate présentement.
«La dernière chose dont nous avons besoin, c'est que les secouristes se mettent dans une situation où ils devront être secourus à leur tour», résumait hier un Américain, membre d'une équipe chargée de retrouver des personnes prisonnières de maisons écroulées. Il faut savoir travailler pour ne pas se retrouver enseveli à son tour, expliquait-il.
À cet égard comme à bien d'autres, le tsunami de décembre 2004 sert de puissante leçon dans l'intervention actuelle. Leçon quant à l'importance de bien cibler l'aide, et de faire appel aux bonnes ressources pour vraiment être efficaces sur le terrain. Leçon aussi quant à l'ampleur de la tâche.
Le tsunami avait touché quatre pays, les dégâts étaient gigantesques, mais l'infrastructure organisationnelle était intacte: les gouvernements étaient en place, les aéroports de ces pays étaient opérationnels, ce qui permettait au minimum l'arrivée et le débarquement des secours avant le difficile acheminement vers les populations atteintes.
Il n'y a pas de précédent de catastrophe où, comme aujourd'hui en Haïti, le gouvernement a disparu, où l'aéroport principal du pays, tout comme le port et les routes, comptent au nombre des victimes. C'est un premier défi logistique qui explique pourquoi l'offre d'aide internationale, abondante, n'arrive qu'au compte-gouttes à Port-au-Prince. Les avions, on l'a vu, ont peine à se poser, il y a peu de gens pour les décharger, un seul entrepôt pour accueillir vivres et matériel, pas de plan pour les distribuer.
Procéder par voie de mer? Des États-Unis, en partant des ports où mouillent des navires pouvant transporter de l'aide, il faut compter au moins trois jours de navigation. Par voie terrestre? La seule route, c'est celle, étroite, qui part de Saint-Domingue, en République dominicaine: on met 18 heures pour atteindre Port-au-Prince. Autant d'heures, de jours, pendant lesquels le flot d'images et de messages, incessant, nous submerge, laissant croire, à nous qui regardons, à ceux qui sont là-bas, que rien ne se passe. Ce qui est à la fois vrai et faux.
Car l'autre leçon du tsunami, c'est que les gouvernements ont appris à réagir rapidement. À l'époque, le Canada avait d'abord refusé d'envoyer en Asie son Équipe d'intervention en cas de catastrophe des Forces canadiennes (le EICC, mieux connu sous l'acronyme anglais DART). Pas d'atermoiements cette fois-ci: dès les premières nouvelles de la catastrophe mardi, le premier Stephen Harper a ordonné de passer à l'action. Vite le lendemain, l'équipe de reconnaissance est partie, puis le DART a suivi et les frégates transportant de l'équipement technique et médical se sont mises en route. Couplée aux annonces de dons en argent, la gestion conservatrice du dossier haïtien est impeccable.
D'Europe, d'Asie, des États-Unis — qui avait tant tardé à agir lors de l'ouragan Katrina —, on trouve la même mobilisation. Il nous reste encore à accepter que celle-ci ne sera jamais aussi rapide que l'instantanéité de l'émotion.


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