L'opinion de Bernard Landry # 50

Haïti, l'amour et l'action

SPECIAL HAITI


Côté amour, il y a peu de peuples que les Québécois aiment autant que celui d'Haïti. Je crois l'inverse également vrai. La tragédie récente remet en lumière ce fort courant affectif. L'amour doit maintenant, comme jamais, soutenir l'action fraternelle.
Un pays francophone d'Amérique avec une culture séduisante, un peuple sympathique et un été éternel avait tout pour nous fasciner. Avant même que les mots "coopération internationale" n'existent, des hommes et des femmes du Québec oeuvraient déjà en grand nombre dans la "perle des Antilles". Depuis plus d'un siècle, nos communautés religieuses sont intervenues en Haïti pour l'éducation, la santé et diverses autres oeuvres. En fait, il y a eu plus de missionnaires du Québec en Haïti que de pratiquement tout autre pays.
Quand la religion a perdu de son importance ici, nos laïques ont pris la relève avec détermination et toujours dans le respect des populations locales. Contrairement à d'autres pays qui ont fait de belles et moins belles choses en Haïti, nous n'avons jamais eu de visées coloniales ou dominatrices.
Haïti fut aimée par nous depuis longtemps. Le président Magloire fut mieux reçu à Québec par Maurice Duplessis en 1955 qu'à Ottawa qui le regardait de haut. Le Québec a déjà eu une délégation en Haïti, hélas fermée, et qui serait fort utile aujourd'hui. Il faudrait la réouvrir en attendant d'y avoir une ambassade. Nous avons le devoir de porter l'action à la hauteur de nos sentiments.
À l'époque précise où notre démographie s'effondrait, nous avons accueilli cent cinquante mille compatriotes venus de cette île et dont nous avions grandement besoin. Plusieurs s'illustrent dans des secteurs clé. C'est donc un des pays les plus pauvres du monde qui les a formés et ils nous aident à consolider une richesse déjà pourtant incommensurablement supérieure.
Dans les sphères de l'éducation, de la santé, de la fonction publique et de l'économie privée, des compétences remarquables sont déployées par ces compatriotes d'origine caraïbéenne. Dans notre monde culturel, leur apport est proprement prodigieux avec Dany Laferrière, Luck Merville en tête et tellement d'autres. Ils sont aussi dans le sports, ce qui n'est pas une activité négligeable.
C'est le Parti québécois qui a fait élire le premier Noir à notre Assemblée nationale dès 1976. Jean Alfred, enfant d'Haïti, élu député de Papineau, avait coutume de dire plaisamment: "Je suis le plus beau Noir de l'Outaouais". Il faut dire qu'il était l'un des seuls! L'un des plus brillants sous-ministres que j'ai eu dans ma carrière s'appelait Christian Latortue, descendant d'un ancien maire de Port-au-Prince. Puis vint Viviane Barbot, élue député du Bloc, et qui en est toujours la vice-présidente. Aussi le député libéral Dubourg et, évidemment, Michaëlle Jean qui fut une brillante journaliste avant d'occuper un poste que l'immense majorité des Québécois considère par ailleurs comme obsolète. Le maire de Mont-Laurier a aussi des racines dans l'île bien-aimée. Bref, notre devoir d'aide en est aussi un de justice et, en fait, de remboursement de ce que nous avons reçu.
Le Québec a de grandes spécialités particulièrement précieuses dans la remise sur pied d'Haïti. Pour la reconstruction physique, peu de nations ont autant de firmes de génie-conseil de rayonnement mondial. Lavallin, Dessau et SM International par exemple, doivent mobiliser leur immense talent de toutes les manières possibles.
Hydro-Québec est une des principales firmes du monde dans son domaine. Elle est la mieux placée pour refaire de façon idéale l'électrification de l'île dans une optique d'énergie propre. Les Haïtiens ne doivent plus avoir à dévaster leurs forêts pour faire cuire leurs aliments. Notre puissante économie sociale, nos coopératives et le Mouvement Desjardins en particulier, doivent se mobiliser totalement au service de notre peuple frère. Nos entreprises privées doivent en faire autant sans obsession mercantile. Il est clair que notre état national ne doit être en reste d'aucune manière dans cette immense opération de solidarité.
On dit qu'Haïti a conquis son indépendance mais attend toujours le niveau démocratique qu'elle mérite. Pour le Québec, c'est le contraire. Dans les années qui viennent tous les efforts doivent concorder pour que les deux nations atteignent le statut qui leur convient dans tous les domaines de leurs vies collectives. Ainsi cette immense tragédie pourrait donner l'occasion à Haïti de trouver certaines consolations, à terme, pour faire contrepoids à son chagrin qui restera par ailleurs éternel.
Bernard Landry



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