crise de la dette

Grèce, la tentation de la banqueroute

Crise de l'euro


Pierre-Alexandre Sallier Aux yeux des marchés, Athènes ne remboursera pas la moitié de ses dettes. Populaire, le choix d’un tel «défaut de paiement» menace pourtant de secouer tout le système financier européen
Triste anniversaire que celui du «sauvetage» de la Grèce par le reste de l’Union monétaire européenne, le 2 mai 2010. Les débats agitant les milieux financiers montrent que, un an après, rien n’a changé: ceux-ci comptent toujours les mois les séparant d’un défaut de paiement d’Athènes. Ce qui ouvrirait, à leurs yeux, la voie à celui de Dublin. Puis de Lisbonne. L’évocation, mi-avril dans la presse allemande, d’une «restructuration volontaire» des dettes par le ministre des Finances Wolfgang Schäuble représenterait le signal attendu.
Calculette en main, ils estiment insuffisants les prêts de secours fournis par l’Europe et le Fonds monétaire international, cette ligne de crédit de 110 milliards d’euros – le tiers du passif grec – n’accorderait que quelques mois de répit à la République hellénique. Pour les marchés, contrairement à ce qui s’est passé en Lettonie, jamais le gouvernement grec ne parviendra à faire accepter à ses concitoyens les sacrifices requis; constat renforcé par l’annonce du comblement moins rapide que prévu du gouffre budgétaire grec en 2010. Ou par les milliers de manifestants opposés, dimanche 1er mai, à tout nouveau durcissement de l’austérité. Enfin, les marchés pressentent que les électeurs des pays maintenant la Grèce à flot – Allemagne en tête – s’opposeront à une poursuite de l’aide mise en place par leurs dirigeants.
La Grèce serait donc vouée à annoncer un «défaut», une «restructuration», des «haircuts». Autant de termes signifiant que les banques européennes ayant souscrit à ses emprunts en masse ne seraient remboursées que partiellement. Et, en tout cas, ni en temps ni en heure. Consacré prophète, l’économiste Nouriel Roubini répète que la question n’était plus de savoir «si» mais «quand et comment».
Oubliées les dénégations officielles d’Athènes. Peu importe que les chefs de file de l’Union aient ­assuré, en octobre à Deauville, qu’aucune restructuration d’emprunt européen n’interviendra avant 2013. Les investisseurs restent convaincus que ces promesses n’engageront que ceux qui y auront cru, lorsque l’heure du défaut sonnera. Les cotations actuelles montrent qu’aucun d’entre eux n’est preneur d’un prêt contracté par Athènes, à moins de l’obtenir à la moitié de sa valeur. Et ces conditions bradées ne compensent plus, à leurs yeux, le risque de ne pas revoir son argent. Un responsable de l’agence Standard & Poor’s n’a-t-il pas laissé entendre, le 14 avril sur Bloomberg TV, que si une «restructuration» devait voir le jour, «entre 50 et 70%» des emprunts grecs ne seraient pas remboursés?
Conséquence de ces rumeurs, la Grèce, pourtant épaulée par ses partenaires de la zone euro, se voit exiger 16% d’intérêts, conditions draconiennes étouffant ses efforts de réduction de déficit. Il y a un an, c’est précisément cet étranglement qui a conduit les responsables de l’Union à dépasser leurs intérêts nationaux pour s’entendre sur un sauvetage sans précédent.
Depuis plusieurs semaines, les appels à un défaut de remboursement se multiplient. Pourquoi imposer à la population grecque une telle cure d’austérité, sans faire payer une partie de la facture aux banques ayant financé un pays «accro» au crédit? Effaçons une partie de l’ardoise, afin de disposer de marges de manœuvre pour restructurer l’économie grecque. Pourquoi un tel dogmatisme dans la cohésion d’une Union monétaire inachevée? Discours auquel est sensible une partie croissante de l’électorat finlandais ou allemand. Mais qui relativise le prix payé par les pays ayant – comme l’Argentine – renoncé à honorer leurs dettes; même si ces conséquences ne résonnent pas autant aux oreilles du grand public que des coupes dans les services publics.
L’autre risque reste de déclencher une crise bancaire qui, «dans le pire des cas», dépasserait celle déclenchée par la faillite de Lehman Brothers en 2008, a menacé le chef économiste de la Banque centrale européenne, Jürgen Stark, sur l’antenne de ZDF. Selon Jan Poser, chef économiste de Sarasin, aussi longtemps que les dettes des Etats en difficulté restent dues aux BNP Paribas et autre Deutsche Bank – et non aux foules des marchés – «une faillite prévoyant le non-remboursement de 50 à 60% des emprunts grecs ne sera pas mise en place, en raison du risque systémique». Les établissements européens ont prêté 154 milliards de dollars à la Grèce et leurs pertes en cas remboursement partiel – comme celles de la banque centrale – «devraient être couvertes par les Etats de l’Union, ce qui déclencherait des tensions politiques en leur sein». Sans parler de la Grèce, dont les assureurs, les banques et les caisses de retraite s’écrouleraient. Le coût d’une telle crise «contrasterait avec les bénéfices tirés de mesures d’austérité un peu moins drastiques», conclut Ian Poser.
Argument balayé par les analystes de Goldman Sachs: ceux-ci estiment qu’effacer 60% des dettes de la Grèce ne ferait perdre que 60 milliards de dollars aux banques européennes; soit 3% de leur fonds propres «durs». Cette estimation ne prend cependant pas en compte un autre péril, plus diffus: l’activation, aussitôt le bouton du «défaut» pressé, de polices d’assurance contractées pour se protéger contre – ou spéculer sur – une faillite grecque. En 2008, une telle réaction en chaîne – sur laquelle avait spéculé Goldman Sachs – avait fait disjoncter le système financier après la banqueroute de Lehman. Un spécialiste genevois rappelle certes que l’encours de ces assurances «CDS» sur les pays européens en difficulté demeure cinquante fois plus faible que celui des protections sur une faillite de Lehman. Il n’empêche, deux ans après la crise financière, ce péril reste dans tous les esprits.


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