COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES

Graham Fraser poursuivi

Un fonctionnaire fédéral dit avoir été forcé de travailler en anglais toute sa carrière

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Le menteur au banc des accusés

Insatisfait des conclusions du commissaire aux langues officielles (CLO) Graham Fraser, un fonctionnaire fédéral basé à Montréal a entamé une poursuite pour que soit respecté son droit de travailler en français.

Le 8 mai dernier, André Dionne, gestionnaire au Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) de Montréal, s’est adressé à la Cour fédérale pour contester le rapport final du CLO qui conclut que son employeur a mis en oeuvre toutes les recommandations qui lui ont été faites afin d’assurer qu’un employé francophone puisse travailler dans sa langue, comme le stipule la Loi sur les langues officielles. « Je pense que le commissaire n’a pas accompli son mandat de façon adéquate », a affirmé ce fonctionnaire au Devoir.« Ses recommandations sont insuffisantes. Ça ne va pas assez loin et ça ne règle pas le problème qui perdure. »

« Les opérations quotidiennes habituelles demeurent en anglais à presque 100 % du temps », a certifié André Dionne. Il serait difficile qu’il en soit autrement : les gestionnaires du bureau de Montréal — un peu de moins de 20 personnes y sont affectées — doivent rendre compte plusieurs fois par jour au BSIF de Toronto, qui n’a aucune obligation de bilinguisme. Les employés montréalais relèvent de directeurs unilingues anglais.

Or, en vertu de la partie V de la Loi sur les langues officielles, les institutions fédérales doivent veiller à ce que « leur milieu de travail soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles tout en permettant à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre » dans la région de la capitale nationale et dans les régions désignées comme bilingues, comme Montréal. En outre, il incombe aux institutions fédérales dans ces régions bilingues de veiller à ce que « les supérieurs soient aptes à communiquer avec leurs subordonnés dans celles-ci [les deux langues] et à ce que la haute direction soit en mesure de fonctionner dans ces deux langues ». En pratique, les supérieurs des employés fédéraux francophones à Montréal sont nécessairement basés dans une autre région bilingue, celle de la capitale nationale, s’ils ne sont pas sur place. Non pas à Toronto.

André Dionne travaille au BSIF de Montréal, secteur de la surveillance, depuis plus de 25 ans. Il est présentement en congé de maladie. « J’estime que mon droit de travailler en français a constamment été brimé durant l’entièreté de ma carrière auprès de cet employeur fédéral, mais de façon plus flagrante durant les dernières années », écrit-il dans sa plainte adressée à Graham Fraser à la fin de 2010. C’est « un problème qui, malheureusement, s’avère maintenant chronique au sein du BSIF. J’irais même jusqu’à affirmer que le non-respect du français est solidement incrusté dans la culture de l’organisation. En tant que Canadien au service de la fonction publique de mon pays, je trouve cela désolant. »

À la même époque, André Dionne a envoyé une lettre au premier ministre Stephen Harper pour l’informer de la situation et des conséquences pour les institutions financières que le BSIF de Montréal est chargé de surveiller. Le Bureau « n’a jamais été en mesure de communiquer en français l’orientation de son secteur, les analyses économiques qu’il réalise périodiquement, les tendances observées dans le secteur des services financiers, et j’en passe », écrit le fonctionnaire. Depuis des décennies, ces institutions financières ayant choisi le français bénéficient d’une « surveillance de qualité moindre » et leurs clients « un niveau de sécurité inférieur », a-t-il signalé au premier ministre.

Cette initiative d’André Dionne lui a valu les foudres de ses supérieurs et une lettre de réprimande lui enjoignant de réserver ses observations à ses supérieurs.

Malentendus et idées fausses

Dans son rapport final d’enquête produit en janvier 2014, le commissaire aux langues officielles reconnaît que « des malentendus et des idées fausses prévalent toujours au BSIF » au sujet de droit de travailler dans l’une ou l’autre des langues officielles. Il constate que tous les directeurs principaux de son secteur de surveillance sont à Toronto. « Les réunions auxquelles assistent des employés de Montréal et d’autres bureaux unilingues du BSIF sont tenues en anglais seulement afin d’accommoder ces derniers. Elles devraient pourtant être tenues dans les deux langues officielles afin de respecter les droits des employés bilingues et unilingues », estime le CLO.

« Comment voulez-vous que nos gens de Toronto et de Vancouver, qui sont des zones unilingues anglaises, puissent tenir des réunions en français avec nous ? », a fait observer André Dionne. Selon lui, aucune des sept recommandations du rapport ne touche au véritable enjeu : le fait que des employés francophones relèvent de directeurs unilingues anglophones, imposant des échanges constants en anglais seulement. C’est pourquoi il demande à la Cour fédérale de déclarer « non conforme la structure organisationnelle actuelle du BSIF qui demeure à la source des problèmes encourus en matière de langue de travail ».

Le BSIF a indiqué au Devoir qu’il « croit qu’il satisfait pleinement aux exigences de la Loi sur les langues officielles » ainsi qu’à l’ensemble des politiques et des directives du Secrétariat au Conseil du trésor. Selon un schéma transmis par le BSIF, un employé anglophone de Toronto peut communiquer avec un employé francophone de Montréal, et ce dernier est obligé de communiquer avec lui en anglais. Dans la mesure, toutefois, où l’employé anglophone n’exerce pas de supervision.

André Dionne soutient qu’une majorité de ses collègues montréalais, bien que silencieux, sont de son avis et réprouvent les manquements de l’organisation relatifs aux langues officielles. Il constate toutefois une certaine résignation chez les fonctionnaires fédéraux à l’usage général de l’anglais. « Est-ce que je suis le seul à penser que je devrais m’indigner devant une telle situation ? Il me semble que les gens, ils ont mis derrière eux ces questions-là. » Le commissaire aux langues officielles a, lui, fermé son dossier en mars 2015. Il a refusé de commenter la situation compte tenu des procédures intentées en Cour fédérale.


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