Seule une toute petite partie des fuites de WikiLeaks concerne le Canada, mais comme pour une bonne part de l'information rendue publique cette semaine, ce qui est révélé est du plus haut intérêt. Foi de diplomate qui, venons-nous d'apprendre, s'inquiète lui aussi: que faisons-nous donc en Afghanistan?
C'est par une fuite venue d'ailleurs que WikiLeaks que le Globe and Mail et le National Post nous ont appris cette semaine que notre ambassadeur canadien en Afghanistan avait tenu de durs propos au sujet du président afghan Hamid Karzaï lors d'une discussion avec son homologue américain. Cet échange lui-même a finalement été rendu public par le quotidien britannique The Guardian dans le cadre des révélations provenant de WikiLeaks.
Cette fuite à propos de la fuite serait en soi un sujet d'éditorial. On a tellement, ces derniers jours, tenté de démoniser ou de minimiser l'approche de WikiLeaks, qui veut mettre sur la table les secrets (auxquels des milliers de gens ont par ailleurs accès!) des gouvernants qu'on oublie que de telles fuites, qu'elles viennent de Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, ou d'ailleurs, sont le quotidien des médias. À eux de se montrer responsables dans le traitement de l'information reçue, et c'est exactement ce à quoi on a droit cette semaine, alors que les documents obtenus par WikiLeaks ont été traités avec rigueur et moult détails par 125 journalistes de cinq des plus grands quotidiens du monde.
Pour nous, il s'agit donc de l'Afghanistan — sujet qui ne fait pas courir les foules mais qui a pourtant un effet très concret: en pertes de vie d'abord, afghanes comme canadiennes, et en coûts faramineux. Le directeur parlementaire du budget a évalué qu'entre 2002 et 2011, le Canada aura consacré près de 14 milliards de dollars au dossier afghan, dont quelque 11 milliards de dollars au seul plan militaire. La prolongation jusqu'en 2014 de notre présence en sol afghan ajoutera 1,5 milliard de dépenses à cet imposant montant.
Tout cela pour quoi: pour «aider la population afghane à se préparer un avenir meilleur», affirmait il y a dix jours le premier ministre Stephen Harper. Du côté libéral, on croit que le Canada doit poursuivre un engagement non militaire «dans le cadre des vastes efforts que déploient les Nations unies pour maintenir un gouvernement stable et efficace en Afghanistan».
Les observateurs, sur la base notamment d'enquêtes journalistiques, ne croient plus depuis longtemps à ces lendemains afghans qui chantent la liberté et la stabilité. Les réserves occidentales en ce qui concerne le président Karzaï ont pour leur part déjà été exprimées à mots plus ou moins couverts.
Mais cette fois, plus moyen d'en douter, on apprend noir sur blanc que l'attitude du président Karzaï et de son clan, qui abusent de toutes les manières de leur pouvoir, indigne véritablement ses alliés. L'ambassadeur américain est implacable à son égard et il fait «bouillir le sang» (ce sont ses mots) de William Crosbie, notre ambassadeur en Afghanistan, homme d'expérience considéré comme l'un des diplomates occidentaux les plus influents à Kaboul.
Il est heureux que M. Harper n'ait pas désavoué son ambassadeur et l'ait plutôt soutenu jeudi — alors que Maxime Bernier, quand il était ministre des Affaires étrangères, avait dû se rétracter quand il avait dénoncé la corruption à Kandahar en 2008. Mais la question à 15 milliards et plus de 150 Canadiens tués demeure: qu'a donc apporté notre présence en Afghanistan? Bien peu au peuple et trop de crédibilité à des dirigeants corrompus. Merci WikiLeaks de sortir ce débat de l'hypocrisie des belles intentions.
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jboileau@ledevoir.com
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