FTQ-Construction - Les Hells et la mafia étaient aux commandes, selon Pereira

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Cramponnez-vous, le grand déballage ne fait que commencer

Les leaders syndicaux de la FTQ ont fait des pieds et des mains pour empêcher Ken Pereira d’éventer le scandale sur les allocations de dépenses de Jocelyn Dupuis, un homme protégé par les Hells Angels et la mafia, « sa deuxième famille ».

Ken Pereira livre un témoignage dévastateur pour la FTQ-Construction (FTQ-C) à la commission Charbonneau. Les Hells Angels et la mafia y exerçaient une telle influence qu’ils fréquentaient les délégués syndicaux, infléchissaient le choix des dirigeants de la centrale et s’interposaient comme médiateurs dans les conflits internes.

On comprend mieux pourquoi Ken Pereira a coulé aux journalistes d’Enquête les notes de frais de Jocelyn Dupuis, l’ex-directeur général de la FTQ-C.

Personne, pas même le président de la FTQ, Michel Arsenault, ne souhaitait un débat public sur le remboursement à M. Dupuis de 125 000 $ en six mois pour des frais de représentation bidon. M. Dupuis devra subir un procès pour fraude dans cette affaire.

Ken Pereira a subtilisé les factures extravagantes de Jocelyn Dupuis à l’été 2008. Persuadé que les membres de l’exécutif étaient « complices » des irrégularités, il a interpellé directement M. Arsenault, lors d’une rencontre en privé tenue en août.

La première préoccupation du président de la FTQ était de régler l’affaire à l’interne, à l’abri des médias. Il a aussi insisté pour mettre la main sur les originaux des factures, mais sans succès.

Michel Arsenault et Jean Lavallée, le président de la FTQ-C, ont convenu de se débarrasser de Jocelyn Dupuis au terme d’une série d’entretiens avec Ken Pereira. Le plan A, soit une confrontation directe entre Ken Pereira et Jocelyn Dupuis, n’a pas été mis à exécution, au grand dam de M. Arsenault.

L’ex-délégué syndical des mécaniciens industriels a donc suivi le plan B. M. Pereira a informé les directeurs des principaux syndicats de la FTQ-C pour les convaincre de montrer la porte à M. Dupuis. C’est à ce moment qu’il a mesuré tout le pouvoir qui se concentrait dans les bouts de papier en sa possession. Un à un, les directeurs lui ont dit: « C’est pas de ma faute, c’est la faute de l’autre. Tout est corrompu. Si on se lève, on mange une volée », a-t-il expliqué.

Jocelyn Dupuis, « un homme tout-puissant », faisait trembler ses confrères. « Les liens de Jocelyn Dupuis avec les Hells Angels étaient connus à la FTQ-Construction. Il faisait peur à tout le monde, a dit Ken Pereira. Sa famille, c’était la FTQ, mais il en avait une autre. La famille des Hells, la famille de la mafia. »

Le présumé membre des Hells Angels Normand Marvin Ouimet, un ami de Jocelyn Dupuis, s’est rendu au moins deux fois aux bureaux de la FTQ-Construction. À la suite de l’opération Diligence, il a été accusé de gangstérisme, d’extorsion et de blanchiment d’argent pour avoir tenté de prendre le contrôle de la maçonnerie à Montréal.

Un des présumés complices de Ouimet, Guy Dufour, a plaidé coupable aux accusations portées contre lui dans Diligence. Ce délégué syndical a déjà dit à Ken Pereira : « Les Hells sont avec nous autres. Les Hells font partie de la FTQ-Construction. »

Une famille élargie

Ken Pereira ne soupçonnait pas l’étendue du bourbier dans lequel il avait mis les pieds. Pour ravoir les originaux des factures de Jocelyn Dupuis, le trésorier de la FTQ-Construction, Eddy Brandone, lui a donné les clefs de sa Mercedes-Benz en lui lançant : « Elle est à toi ». « Il voulait m’acheter », a-t-il dit.

M. Pereira a refusé ce marchandage. Lors d’une rencontre dans un restaurant du boulevard Langelier, vers minuit, Brandone a choisi une autre tactique en lui montrant une facture de Jocelyn Dupuis, pour un repas à Mont-Tremblant. Il y avait le nom de ses invités au verso : Raynald Desjardins et Giuseppe Bertolo, deux figures connues du monde interlope.

Desjardins est un ancien homme de confiance du parrain de la mafia, Vito Rizzuto, qui est aujourd’hui accusé de meurtre. Bertolo, une relation de Desjardins, est le frère du délégué syndical Johnny Bertolo, abattu en 2005. Lors de cette rencontre, M. Pereira a entrevu dans le restaurant Joe Colapelle, un informateur de Raynald Desjardins tué en 2012.

Eddy Brandone a fait comprendre à Ken Pereira qu’il ne pourrait pas lui épargner des représailles de la mafia s’il continuait à s’attaquer à Jocelyn Dupuis avec les fausses factures.

« On a compris qu’on était dans les ligues majeures », a-t-il dit.

Raynald Desjardins a finalement livré son message en personne à Ken Pereira, vers la fin 2008 ou le début 2009, lors d’un brunch à Laval sous la surveillance d’une dizaine de fiers-à-bras. Louis-Pierre Lafortune, l’ex-patron des grues Guay accusé dans Diligence, était présent.

Raynald Desjardins a joué le rôle de médiateur, en offrant son aide pour régler les différends entre Ken Pereira et Jocelyn Dupuis. Il a alors dit : « Laisse-moi la FTQ-Construction. Il faut que tu me fasses confiance », a relaté le témoin.

Desjardins était « le vrai boss » de la FTQ-Construction, a constaté Ken Pereira. Il se servait de Jocelyn Dupuis dans l’espoir d’accéder au Fonds de solidarité de la FTQ. Desjardins en avait assez du contrôle exercé par Tony Accurso et Jean Lavallée sur le Fonds, et il réclamait « une petite partie » pour Dupuis et lui. « La guerre, c’était pour avoir accès à la chaise au Fonds de solidarité de la FTQ. Ça a commencé à me faire peur », a dit M. Pereira.

Réactions étonnantes

Les réactions de ses collègues de la FTQ-C étaient encore plus étonnantes. Le lendemain de son entretien amical avec Desjardins, ils ont recommencé à lui adresser la parole, mettant un bémol à une campagne de boycottage et de harcèlement qui durait depuis des semaines.

Les dirigeants de la FTQ-C avaient tenté de faire entendre raison à Ken Pereira par des méthodes plus conventionnelles à l’automne 2008.

À l’initiative d’Yves Mercure, la centrale a imposé un ultimatum de 48 heures à Ken Pereira pour qu’il rende les factures originales, sous peine de congédiement. Il remettra finalement des photocopies à Michel Arsenault et à Jean Lavallée, et il enverra les originaux à la SQ, à l’insu de ses collègues.


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