Franglais : ce que j’ai appris cette semaine

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Tout va-t-il vraiment pour le mieux dans le meilleur des mondes ?

J’ai publié dimanche dernier dans le Journal de Montréal une chronique sur le progrès du franglais au Québec. Je m’en désolais. On me l’a reproché. Ce que j’aurai compris de ma semaine? Pour bien des jeunes Québécois, le franglais n’est plus un problème, c’est une forme de métissage identitaire et d’hybridation linguistique qui témoigne de notre inventivité culturelle. D’ailleurs, les langues évoluent dans l’histoire. Le latin, au fil de nombreux croisements, a accouché d’autres langues, dont le français, et le français québécois d’aujourd’hui connaîtrait une mutation de même nature. Rien de neuf sous le soleil. Pas d’inquiétude, tout va bien. Dire le contraire, c’est confesser la tentation de l’intégrisme linguistique. Quant au simple souci de parler une langue à la fois, ce serait du purisme. Et le souci du mot juste est réactionnaire. Chic. C’est fou ce que le relativisme fait du bien.
Non, parler français et anglais dans la même phrase n’a aucune signification politique et n’est aucunement symptomatique de l’anglicisation des jeunes francophones. Passer systématiquement du français à l’anglais dans la conversation courante ne veut pas dire non plus que le français perd au Québec son prestige culturel, social et économique. Il ne perd pas non plus sa capacité de dire le monde qui nous entoure. En fait, le franglais n’est pas symptomatique de l’effacement du français à Montréal: voyez-vous, chacun invente sa propre langue, et il serait antiscientifique, en plus, d’y voir une régression culturelle. Chacun parle comme il veut, les normes sont arbitraires, et le monde est en fête. Faut-il rappeler qu’on ne parle pas ici d’emprunts linguistiques occasionnels à l’anglais : on parle du croisement systématique des deux langues dans un étrange dialecte qui culmine dans un triste sabir. Se pourrait-il que cet étrange dialecte soit la marque distinctive d’un nouveau peuple montréalais? Peut-être, dira-t-on. Mais où est le problème?
J’espère donc que plus jamais, on ne se moquera de cette vidéo de Justin Trudeau où il parlait en bilingue dans la même phrase. En d’autres temps, elle suscitait l’hilarité générale. On croyait qu’il faisait le clown. En fait, c’était un visionnaire. Il avait tout compris avant nous. Il faut lui dire bravo. Oui. Bravo Justin Trudeau! Et quant au Temps des bouffons de Falardeau, il témoignait non pas de l’existence d’une bourgeoisie colonisée jusqu’au trognon mais de l’avant-gardisme des élites francophone de Montréal dans la recherche d’une nouvelle identité créative et adaptée à notre réalité. Du joual de garage au franglais branché, le Québec trouverait la voix de son originalité. Il se libérerait même de la colonisation parisienne et des préjugés parisianistes: c’est fou à quel point nous sommes libres aujourd’hui.
Bien franchement, je vois surtout une chose: le désir d’être à tout prix «progressiste» en amène plusieurs à reconnaître dans n’importe quel changement une évolution certaine et un progrès admirable. La peur d’avoir l’air réac, inversement, interdit de nommer une dégradation là où il y en a une. En fait, j’y reviens, le franglais est devenu une marque identitaire de la jeunesse branchée montréalaise: c’est pour ça que ceux qui le défendent le font aussi viscéralement. Et c’est évidemment ce qu’il y a de plus triste. Une langue massacrée est désormais blindée par une mode idéologique. Le plus formidable avec les Québécois, c’est que lorsqu’ils auront cessé d’exister comme peuple, ils ne le sauront même pas, et ne toléreront pas qu’on leur fasse remarquer.
Mais ça va bien. Que personne ne dise le contraire. Personne.


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