Français : contrainte ou libre choix au cégep?

Chronique de Charles Castonguay

L’avenir du français se joue chez les jeunes. À l’occasion de la Commission Larose, je me suis donc efforcé d’attirer l’attention sur un fait capital, soit la vitalité ambivalente du français parmi la relève d’âge scolaire et celle de l’âge des études collégiales.
À l’aide des deux recensements les plus récents, ceux de 1991 et 1996, j’avais estimé combien de substitutions (ou « transferts ») linguistiques en faveur de l’anglais ou du français s’étaient accomplies entre 1991 et 1996 dans la région métropolitaine de Montréal parmi deux cohortes d’enfants ou d’adolescents soit, d’une part, ceux qui avaient de 0 à 9 ans au premier recensement et, d’autre part, ceux qui avaient de 10 à 14 ans.
Au second recensement, celui de 1996, la plus jeune cohorte était parvenue à l’âge de 5 à 14 ans et, grosso modo, fréquentait l’école primaire ou secondaire. La plus âgée avait, elle, de 15 à 19 ans et, en majeure partie, terminait le secondaire ou fréquentait le cégep.
J’avais écarté les jeunes immigrés arrivés durant la période 1991-1996, la quasi-totalité des substitutions observées parmi ces derniers s’étant accomplies à l’étranger, avant d’arriver au Québec, et non au cours de leur séjour dans le milieu de vie montréalais.
Hormis l’effet de la mortalité, de l’émigration ou de la migration interprovinciale, facteurs peu actifs en bas âge, mes observations témoignaient ainsi du mouvement de l’assimilation parmi des jeunes présents dans la région de Montréal en 1991 et qui y résidaient encore en 1996.
Dans le débat entre maintenir le libre choix de la langue des études collégiales et étendre la loi 101 au cégep, le résultat de mes recherches tranchait en faveur de cette dernière option. Au sein de la première cohorte, le solde des substitutions réalisées entre 1991 et 1996 se répartissait plus également entre l’anglais et le français alors que parmi la seconde, il profitait exclusivement à l’anglais.
Plus exactement, j’avais signalé à la Commission que « le passage au primaire ou au secondaire se solde, pour l’anglais, par un gain net de 3 495 nouveaux locuteurs, en regard d’un gain net de 2 904 pour le français [tandis que] lors du passage à l’âge des études collégiales, la même analyse révèle un gain net de 1 526 pour l’anglais, contre une perte nette de huit pour le français. »
À propos de ce dernier chiffre, j’avais précisé ceci : « Comment est-ce possible? N’y a-t-il pas des allophones qui se francisent au cours de leur passage au cégep? Certes. Mais leur apport au français se trouve annulé par un nombre équivalent de jeunes francophones qui s’anglicisent. Il semble donc que non seulement le libre choix de la langue d’enseignement au cégep brise l’élan donné au primaire et au secondaire à la part du français parmi les [substitutions] des jeunes allophones […] mais que ce libre choix imprime en même temps une impulsion certaine à l’anglicisation des jeunes francophones dans la région métropolitaine. »
Fidèle à l’impératif d’« ouverture » instauré durant le règne de Lucien Bouchard, la Commission Larose n’a rien retenu de cela dans son rapport final. Cela fera bientôt dix années de perdues. Le Devoir a cependant diffusé mes observations (lire « L’impact du libre choix au cégep » dans l’édition du 2 mars 2001).
Je viens de refaire cette analyse en prenant comme cadre le Québec tout entier plutôt que la région de Montréal, afin de maximiser le pouvoir d’attraction du français face à l’anglais. J’ai pu suivre les substitutions par cohorte non seulement durant la période 1991-1996 mais aussi, à l’aide des recensements plus récents, durant 1996-2001 et 2001-2006.
Comme dans mon étude précédente, pour chacune des trois périodes j’ai écarté les immigrants arrivés entre chaque paire de recensements de façon à ne retenir pour l’essentiel que les substitutions réalisées parmi des jeunes ayant séjourné continûment au Québec durant les cinq années en cause. Cette fois, j’ai écarté en outre les résidents non permanents, entre autres pour ne retenir que les jeunes auxquels la loi 101 serait susceptible de s’appliquer.
Le résultat (voir notre tableau) ne diffère pas fondamentalement de ce que j’avais présenté à la Commission Larose.
Durant la période 1991-1996, la francisation n’est pas négligeable au primaire et au secondaire mais à la fin du secondaire et au cégep, l’anglais domine sans partage. Durant 1996-2001 et 2001-2006, le français l’emporte sur l’anglais parmi la première cohorte et ce, à peu près au même degré durant chacune des deux périodes.
La loi 101 semble ainsi avoir eu, depuis 1977, le temps de produire tout son effet au primaire et au secondaire. En revanche, durant chacune des deux dernières périodes, l’anglais domine toujours effrontément parmi la cohorte la plus âgée.
Cela ne démontre pas seulement à quel point le libre choix au cégep renverse l’effet de la contrainte qu’impose la loi 101 au primaire et au secondaire : cela démontre aussi à quel point on se leurre quand on confond la francisation des immigrants complétée à l’étranger avec ce qui se passe sur le terrain au Québec.
Soulignons que la performance du français serait encore plus déprimante si l’on s’en tenait à la seule région de Montréal; que pour profiter au même degré au français qu’à l’anglais, l’assimilation devrait se solder, à l’échelle du Québec, par des gains neuf fois plus importants pour le français que pour l’anglais et, enfin, que notre tableau sous-estime la domination de l’anglais dans la mesure où un certain nombre de jeunes allophones et francophones, anglicisés au Québec durant chacune des périodes à l’étude, ne sont pas compris dans le solde de l’assimilation en fin de période parce qu’ils ont entre-temps quitté le Québec pour le reste du Canada.
Notons aussi que Statistique Canada a modifié les questions de recensement en 2001 de manière à hausser la francisation des allophones aux dépens de leur anglicisation, ce qui gonfle artificiellement la performance du français face à l’anglais en 2001 et 2006 en regard de 1991 et 1996.
Et qu’au fil des recensements, la hausse continue du poids des francotropes (de langue espagnole, arabe, créole, roumaine, etc.) au sein de la population allophone, qui découle non pas d’un quelconque effet de la loi 101 sur le terrain, au Québec, mais de la politique de sélection des immigrants, a pour effet de hausser pour ainsi dire automatiquement la part du français dans l’assimilation des allophones.
Pourquoi l’évolution du solde de l’assimilation demeure-t-elle alors si faible pour le français parmi la cohorte la plus âgée, même au cours de 2001-2006? C’est que, comme je l’avais signalé à la Commission Larose pour la période 1991-1996, l’anglicisation de jeunes francophones vient annuler en majeure partie l’apport de la francisation de jeunes allophones.
Ce jeu des substitutions à l’âge des études collégiales est le reflet direct de la neutralisation quasi complète du nombre d’étudiants allophones au cégep français par le nombre d’étudiants francophones au cégep anglais, ce dont j’ai fait état dans le dernier chapitre de mon livre Avantage à l’anglais ! Dynamique actuelle des langues au Québec.
Avant la loi 101, une situation semblable prévalait au primaire et au secondaire. Le libre choix faisait en sorte que le nombre d’élèves francophones à l’école anglaise neutralisait le nombre d’élèves allophones à l’école française.
Quand Bernard Landry a remplacé Lucien Bouchard, il m’a invité à son bureau. « Vous savez, m’a-t-il dit, je lis tout ce que vous écrivez. Si vous me démontrez que le français est en danger, j’agirai. »
J’ajouterai d’autres observations probantes à cette analyse lors de l’assemblée de lundi soir prochain, le 19 octobre. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. (pour les détails, cliquez ici)
Solde approché de l’assimilation
réalisée au Québec parmi les jeunes



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