Si le pouvoir et le changement viennent aujourd'hui par la démocratie, la démocratie, elle, reste toujours l'esclave de la démographie.
Le collaborateur canadien-français d'antan a bâti ses acquis sur sa démographie. Sans poids démographique, il n'avait aucun outil de négociation face au commandement britannique et on ne lui aurait octroyé aucun droit ou privilège.
Bien que contemplée, la déportation massive telle que pratiquée en Acadie a été jugée logistiquement trop lourde pour débarrasser le Saint-Laurent de ses habitants. La population d'Acadiens déportés est estimée à 12 618. Entreprendre de déporter les 63 540 «Laurentiens» par une même mesure aurait exigé une opération cinq fois plus colossale. Le commandement britannique n'avait pas les ressources à court terme pour voir à cette déportation, tant souhaitable qu'elle fut.
Par ailleurs, la venue de la rébellion américaine a poussé le commandement vers une stratégie d'apaisement face au peuple français occupé. Il ne pouvait risquer que ce dernier profite de la diversion créée par cette rébellion pour se révolter à son tour. Tout bon occupant inférieur en nombre à celui qu'il occupe en fera autant. Sans ressources immédiates nécessaires à une déportation massive et face à une révolte américaine, le commandement britannique n'avait d'autres options que de voir à ce que l'habitant occupé, huit fois plus nombreux que lui, reste docile et apaisé. D'où l'octroi de privilèges et droits spéciaux.
C'est donc le poids démographique supérieur des sujets français qui a forcé l'occupant britannique à tolérer leur présence et leur octroyer des concessions. Sans poids démographique menaçant, nul besoin de tolérer, apaiser, acheter quelconque groupe.
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Voilà pourquoi son héritier fédéraliste québécois d'aujourd'hui est sans avenir. Le poids de son peuple a disparu. Ou s'il lui reste l'ombre d'un poids, il disparaît infiniment plus à chaque année. Les concessions, droits et privilèges qui reposaient jadis sur son poids démographique sont portés à disparaître puisque ce poids même disparaît. De 97% de la population à la conquête, les francophones sont aujourd'hui 22.7%. Une chute nette de 74.3%.
Droits et privilèges ne sont point octroyés par plaisir ou générosité. Ils sont octroyés en échange de quelque chose. Et qu'est-ce qu'un peuple occupé a de plus désirable pour un occupant que sa collaboration, son engagement à ne point se rebeller, à ne point chercher sa liberté politique?
Les privilèges, droits ou postes octroyés à une minorité ne le sont que pour assurer sa fidélité. Moins cette minorité a de poids démographique, moins il est nécessaire de s'en soucier, moins elle pose une menace, plus il est possible de l'ignorer sans craintes.
Les gouvernements vivent au présent et non dans les livres d'Histoire. Les députés sont élus par des citoyens qui vivent aujourd'hui, par la démographie de l'heure. Ils n'ont aucun engagement, ne doivent rien à la démographie d'antan, à un peuple qui n'existe plus, qui ne peut l'élire. Ils doivent par contre tout à leurs électeurs d'aujourd'hui et si ceux-ci acheminent quelconque décision en opposition aux traditions d'antan, aux vieilles habitudes de concessions spéciales faites aux francophones, ils ne peuvent qu'appuyer cette remise en question.
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Le citoyen québécois peut ainsi espérer obtenir de moins en moins de pouvoir et d'influence au sein du Canada. Sans poids démographique menaçant, il n'y a nul besoin (pour l'occupant) de céder à des demandes de droits spéciaux ou postes privilégiés.
Face à la rébellion et l'indépendance, le fédéralisme fut donc le mauvais pari pour la survie à long terme du peuple occupé. Il n'a que rendu tolérable une longue et pénible mise en échec, une mise en minorité progressive et irréversible.
Et cette mise en minorité se travaille sans respect des frontières provinciales. Le Québec ne constitue aucunement un abri à cette mise en minorité.
La migration interprovinciale est libre de tout contrôle. Il n'existe aucune législation pouvant empêcher ou restreindre la migration de citoyens canadiens provenant d'autre provinces vers le Québec. Il est donc parfaitement concevable que la mise en minorité progressive des francophones qui s'est opérée dans l'ensemble du Canada se poursuive à l'intérieur des frontières du Québec.
Quelconque citoyen canadien anglophone peut librement s'installer au Québec à partir d'une autre province, se greffer aux noyaux anglophones déjà présents, en gonfler les rangs, tant à titre de consommateur qu'électeur, à exiger le respect de ses droits linguistiques, à en faire la promotion, etc. Ni les frontières provinciales du Québec, ni ses lois provinciales ne peuvent empêcher l'expansion démographique canadienne anglaise externe de poursuivre son cours à l'intérieur du Québec.
Et il serait naïf de croire qu'aucune tendance ou pression migratoire n'existe en ce sens. L'expansion démographique colle d'abord aux tissus urbains, aux zones développées. Un surplus de population tendra toujours à s'étendre aux zones développées avant de s'étendre aux zones éloignées. Et puisque l'expansion anglophone canadienne s'opère majoritairement aujourd'hui par l'entremise de nouveaux arrivants anglicisés, et que ceux-ci favorisent l'implantation en milieux urbains avant tout, cette tendance d'expansion vers les zones urbanisées québécoises ne peut qu'être renforcée.
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Il sera de plus en plus légalement injustifiable et indéfendable de permettre des droits linguistiques spéciaux à une minorité plutôt qu'une autre. Le jour où la minorité francophone sera inférieure aux minorités chinoises ou indo-pakistanaises, les élus, devant leur pouvoir au poids de ces nouvelles minorités, ne pourront justifier de tels droits, quelque soit le poids passé des francophones, peu importe ce qui a pu être une lointaine stratégie d'apaisement britannique au cours de l'Histoire.
Aucune démographie n'est à l'abri du déclin, tout comme aucun droit et pouvoir lié à cette démographie n'est à l'abri du déclin. Seuls les pleins outils en matière de migration humaine sur son territoire permettent à une société de contrôler son destin démographique.
Nul commandant britannique n'a rêvé à l'époque d'un pays où une masse de sujets français vivrait côte à côte en égalité et à perpétuité avec ses propres sujets britanniques. Ce mythe de double peuple fondateur, respectueux et égaux, est une invention. Il est une réécriture de l'Histoire visant à contrer les aspirations nationales des francophones. Telle une espèce archaïque incrustée dans un écosystème en disparition, le vieux canadien-français fédéraliste du Québec est aujourd'hui voué à l'atrophie. Ses années d'or sont déjà comptées. Il n'y aura plus d'équipe du tonnerre francophone dirigeant le Canada. Il a dépassé son utilité, le Canada anglais n'en a plus besoin.
Si l'opportuniste gagne son pari de garder le Québec dépendant et fédéral, il ne gagnera pas pour autant celui de voir son peuple choyé et favorisé à jamais. Croire que l'un entraîne à tout coup l'autre aura été l'erreur stratégique majeure du fédéraliste au Québec.
Démographie oblige, être un Québécois «de service», un «token Quebecker» au cabinet du fédéral est une profession en perte de vitesse, au pouvoir et au prestige rétrécissant. Le berger de service nommé pour garder le troupeau dans l'enclos a tort de croire qu'il sera à toujours indispensable. Une fois le troupeau trop affaibli pour sauter la clôture, il perd son utilité, n'a plus raison d'être et peut gentiment retourner brouter avec ses pairs.
La stratégie d'acheter la fidélité de nos ancêtres a généré une classe d'opportunistes engraissés artificiellement de privilèges et de pouvoir qui ne leur appartiennent pas. La faim les guette. Cette classe a bâti son troc sur la démographie de son propre peuple en liquidant sa liberté. Le fédéraliste d'aujourd’hui serait un Judas sans Jésus à échanger. Il croit encore pouvoir recevoir l'argent des Pharisiens en trahissant un agitateur qu'ils voient pourtant déjà mort et neutralisé.
Le vieux fédéraliste francophone, accolé au pouvoir des décideurs anglophones depuis des générations, a le sentiment de faire partie du «vieux sang», à égalité avec les héritiers britanniques d'antan. Là où sa naïveté stagne est de croire à la permanence assurée de cette apparence. Telle une rivière peut comporter une section si calme qu'on l'a croit statique, une place au pouvoir peut faussement sembler assurer à jamais. La gravité suit son cours et le jour se lève où les Chrétien, Blackburn, Bernier, Verner, Paradis et Cie seront refoulés à l'ombre du club dont ils croyaient pourtant être membres VIP.
Si le WASP (White Anglo Saxon Protestant) a momentanément et stratégiquement toléré une grenouille dans son club de vieux sang, il ne peut qu'en faire autant avec les nouveaux membres plus riches et dociles cognant à la porte; Indu, Pakistanais, Chinois et Cie.
L'apparence de statut spécial historique octroyé au francophone ressemble d'ailleurs de plus en plus à du vulgaire politiquement-correct, applicable à quelconque ethnie qui la réclame. D'un geste apparent de réconciliation et de reconnaissance unique et majeure, le statut du francophone prend en fait des airs de simple «affirmative action» ethnique à l'américaine, voire folklorique, visant l'apparat, la bonne conscience et les votes.
Le fédéraliste mal informé aime dénigrer le souverainiste en le caractérisant de plaignard. Le plaignard est pourtant celui dont il est à l'avantage de l'être, c'est-à-dire celui qui cherche traitements de faveur, privilèges et postes auprès du pouvoir, le fédéraliste.
La plainte ne peut servir qu'à obtenir des postes et des privilèges, et non à l'affirmation de soi. Se plaindre et quêter des places au pouvoir est contraire au désir de prendre ses responsabilités et d'assumer son propre avenir, saisir son propre pouvoir. L'affirmation collective est une prise de position contre le principe de troquer sa fidélité contre des privilèges spéciaux.
Le partisan québécois du fédéralisme veut préserver son statut de minorité; le seul état des choses qui permet de pleurnicher comme victime, comme entité petite et fragile. Il oublie dans son calcul qu'une fois trop petit, il n’y a nul besoin de répondre à ses pleurs et ses crises. L'enfant jadis gâté peut maintenant être ignoré.
Ces cris se noient dans une marée montante de revendications ethniques et folkloriques, toutes plus dignes d'écoute les unes que les autres. Faute de traitements spéciaux, ces nouvelles minorités à fidéliser exigeront au minimum un traitement égal qui sera incompatible avec les privilèges traditionnels octroyés aux francophones.
En cherchant sa souveraineté et devenant majoritaire, un peuple cesse de jouer le jeu de la victime minoritaire à acheter.
Laisser un canadien-français parvenir au poste de ministre ou premier ministre du Canada n'aura été que de l'apparat aux yeux du monde. Il aura d'ailleurs été grossier de prétendre que le Canada assurait l'épanouissement des francophones. La poignée de gestes qu'il pose en ce sens auront été essentiellement symboliques et conçus comme stratégie pour prévenir l'auto-détermination du Québec. Il se sera agi de propagande sournoise, une diversion opérée en coulisse détournant les yeux des données statistiques démographiques.
Car bien qu'elle peut avoir l'apparence du «affirmative action» américain envers les Noirs, ce traitement de faveur politique envers les francophones fidélisés reste très différent. Il camoufle un processus d'assimilation, une tendance démographique continue et à sens unique.
Le relâchement graduel de ce jeu d'apparence aujourd'hui signale la fin imminente de sa nécessité. Bientôt le nombre de francophones passera sous le seuil du 20%, puis sous celui des 15%. Avant que vos jeunes enfants meurent, dans 60 ou 75 ans, les atlas feront mention d'une petite minorité folklorique de francophones à 10 ou 15%. Sans poids démographique, le «affirmative action» canadian envers les francophones ne sera plus justifiable. D'allure de justice rétroactive, il prendra des airs de favoritisme raciste. Les Canadians n'en voudront plus, ni leurs élus. Le réveil, pour l'opportuniste, sera froid.
Louis Charlebois
Auteur
Fédéraliste québécois
Fin de parcours
En cherchant sa souveraineté et devenant majoritaire, un peuple cesse de jouer le jeu de la victime minoritaire à acheter
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1 commentaire
Jean-Claude Pomerleau Répondre
15 septembre 2010"Demography is destiny" (disent les anglo-saxon).
Votre lecture est exacte la démographie du peuple "canayen" a forcer les Anglais à consentir à l'Acte de Québec de 1774. Cekla est très clair dans les communications de Carleton (1767-68): Il s'agit de la reconnaissance de jure d'un État nation, français et catholique.
En 1760, les anglais se sont buté à ce que Aristote appel l'État organique.
JCPomerleau