Fermes en péril

Agroalimentaire - gestion de l'offre

Le rapport sur l'aide de l'État en agriculture laisse entendre que l'agriculture québécoise se traînerait les pieds, alors qu'elle se hisse au rang des plus performantes d'Amérique du Nord, soutient Christian Lacasse de l'UPA. Archives La Presse



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Avec son récent rapport sur le soutien de l'État en agriculture, Michel R. Saint-Pierre avoue sans détour avoir voulu provoquer un «électrochoc». Disant vouloir se garder de la langue de bois, il a effectivement franchi plusieurs pas, allant jusqu'à blesser les agriculteurs dans leur fierté.
La mienne a été profondément offensée en lisant son document, à l'instar de nombreux producteurs agricoles que j'ai rencontrés. Plusieurs jugements de valeur parsèment son texte, dont l'idée que les agriculteurs ont cessé «d'être des entrepreneurs en se considérant comme des employés de l'État». Voilà qui nous fait une belle réputation! Comment ajouter foi à un tel travail, à plus forte raison que son analyse est truffée de biais sur le plan méthodologique?

Le document laisse par ailleurs entendre que notre agriculture se traînerait les pieds, alors qu'elle se hisse au rang des plus performantes d'Amérique du Nord! Et ce, même si elle doit composer avec sa nordicité, ce qui la désavantage largement par rapport à nos voisins du Sud. Qui plus est, elle contribue à offrir à nos concitoyens un des paniers d'épicerie les moins chers parmi les pays industrialisés. Pas mal pour des gens prétendument si peu entrepreneurs...
M. Saint-Pierre veut démontrer que le soutien de l'État à l'agriculture est devenu un gouffre. C'est sa thèse, sinon la commande qu'il a reçue... Nous ne sommes pas dupes. Il affirme aussi que notre agriculture est soutenue davantage qu'ailleurs, ce qui n'est pas le cas quand on s'en remet aux chiffres de l'OCDE et à des indicateurs complets, ce qu'il n'a pas fait, bien sûr. Il s'en prend particulièrement à l'Assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA), limitant son analyse à des paramètres qui appuient ses conclusions.
Il s'est gardé évidemment de remettre les choses en perspective. Notamment de rappeler que l'agriculture a dû composer, ces dernières années, avec une succession de crises sans précédent: crise de la vache folle, qui a provoqué des pertes de centaines de millions de dollars au Canada et dont nous ne sommes pas encore relevés; subventions déloyales des Américains à leurs producteurs de céréales, qui ont maintenu les prix au plancher des années durant; dépréciation du dollar, dévastatrice pour nos exportations, etc.
Ces crises se sont ajoutées à l'incertitude chronique des marchés agricoles. Ceux-ci, faut-il savoir, ne suivent pas les règles des autres marchés. Ils sont, par nature, volatiles et incapables de rémunérer adéquatement les agriculteurs et leurs coûts de production. Les programmes de sécurité du revenu visent à contrebalancer ce phénomène. C'est la même chose dans tous les pays industrialisés, où le soutien à l'agriculture est considéré comme une fonction vitale.
Le principe derrière l'ASRA, créée il y a plus de 30 ans, est de stabiliser le revenu des entreprises agricoles. Ce principe est toujours aussi pertinent aujourd'hui, et même davantage dans le contexte de la mondialisation. Il se base sur une notion fondamentale que veut évacuer Michel Saint-Pierre: les coûts de production, ce qu'il en coûte pour produire un filet de porc, une douzaine d'épis de maïs ou un rôti de palette. Ces coûts sont bien différents chez nous de ce qu'ils sont dans des pays compétiteurs, tels le Mexique ou le Brésil, où le climat peut permettre jusqu'à quatre ou cinq récoltes par année, doit-on rappeler à ceux qui ont la comparaison facile...
À ces coûts s'ajoutent également les attentes sociétales envers notre agriculture, notamment en matière d'innocuité, d'environnement, de méthodes de production, d'occupation et d'entretien du territoire.
«Son testament», voilà comment M. Saint-Pierre qualifie le rapport qu'il a produit, à l'aube de sa retraite. Sauf qu'en proposant, comme il le fait, d'abolir le plus important programme de soutien à l'agriculture québécoise (l'ASRA), ce n'est pas son testament de fin de carrière qu'a signé M. Saint-Pierre, c'est l'arrêt de mort, à plus ou moins brève échéance, de nombreuses fermes dans nos régions rurales ainsi que des emplois qui en dépendent... si jamais le gouvernement décidait d'emboîter le pas à ses propositions.
L'auteur est président général de l'Union des producteurs agricoles (UPA).


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