En ce milieu de campagne électorale, et en attendant le débat des chefs, il est frappant de constater le caractère provincial et à très court terme des enjeux et des propositions qui sont présentement débattus. On attend et on espère que les chefs de partis sauront dégager d'ici à la fin de la campagne une vision d'avenir qui fait actuellement cruellement défaut.
Le principal responsable de cet état de fait est Jean Charest, lui qui a déclenché cette campagne électorale dont personne ne voulait, pour des raisons strictement électoralistes. Un parti qui présente quelques mesures désarticulées axées sur le court terme économique mérite-t-il d'être réélu, sans qu'il propose d'augmenter les moyens de plus en plus limités d'action dont dispose tout gouvernement provincial? Sans qu'il propose une vision de notre avenir national?
À cet égard, il est instructif de souligner que le Parti libéral passe sous silence la manière dont les quelques politiques qu'il propose s'inscrivent au sein du fédéralisme canadien. Beaucoup de ses mesures, dont les projets d'infrastructure, dépendent d'ailleurs du bon vouloir fédéral. Tout au plus, est-il mentionné dans le Plan d'action économique que le «gouvernement a par ailleurs entamé des démarches auprès du gouvernement fédéral afin que des modifications à certaines règles en vigueur soient appliquées». Il s'agit là du début et de la fin de toute la réflexion proposée par le PLQ sur la manière dont le Québec doit se développer au sein de la fédération canadienne. C'est un peu comme si le fait de privilégier les enjeux économiques dédouanait le PLQ d'aborder quoi que ce soit d'autre. Navrant!
Les autres partis
L'Action démocratique du Québec, qui a pourtant redéfini sa vision autonomiste dans la foulée du rapport Allaire qui lui a donné naissance, la passe totalement sous silence. Consacrant plus d'énergie à dénigrer ses adversaires qu'à proposer des solutions novatrices (une visite sur le site Internet de l'ADQ vaut le détour), l'ADQ n'a rien d'autre à proposer qu'une volonté de mettre de l'«ordre» dans les affaires de l'État et à forcer un désengagement massif de celui-ci dans la gestion des affaires publiques.
Le Parti québécois, se situant dans le carré de sable proposé par le Parti libéral, a choisi comme thème de campagne: «passer au travers de la crise». Il rappelle ses engagements à l'égard de la famille, de l'éducation, de l'économie et il affirme vaguement vouloir «faire progresser la nation québécoise», mettant à l'écart son programme de pays voté par ses membres en 2005 et pourtant toujours en vigueur. La suspension de l'engagement référendaire n'en demandait pourtant pas autant.
Québec solidaire voudrait, quant à lui, convier une assemblée constituante pour consulter la population sur son avenir politique. En d'autres termes, les débats portant sur l'enjeu de la souveraineté ou même le simple rapatriement des compétences nécessaires au Québec sont actuellement absents du débat et reportés à plus tard.
Une vision d'avenir
C'est pourquoi l'actuelle campagne électorale est-elle d'une navrante banalité. Alors que le peuple québécois pourrait s'engager dans une voie porteuse d'avenir et débattre du mérite d'une prise en main de sa destinée, le voilà plongé dans une course sans raison d'être, sans vision et sans regard tourné vers l'avenir.
Mais choisir un gouvernement, c'est aussi opter pour une vision globale qui s'inscrit dans une réflexion portant sur la façon dont le Québec, comme société, devrait se projeter dans l'avenir, raffermir les solidarités, se mobiliser autour d'un projet collectif.
En effet, poser la question du Québec dans le contexte de notre avenir comme nation obligerait les acteurs politiques, tout comme l'ensemble des citoyens, à définir un horizon de possibilités nettement plus large. Les électeurs sont évidemment préoccupés par des questions qui les touchent de près en matière de santé, d'éducation, de fiscalité, de transport, d'environnement, etc. Mais prendre chacune de ces questions de manière isolée ne fait que favoriser une gestion à la petite semaine, que proposer des pistes d'action à courte vue, que débattre des problèmes sans les situer dans une perspective d'ensemble et sans les moyens dont nous avons besoin pour nous y attaquer vraiment.
Le projet souverainiste a le mérite de décloisonner les perspectives d'avenir. Il permet de rappeler que la marge de manoeuvre dont dispose le Québec pour s'attaquer notamment aux problèmes économiques, sociaux et culturels est de plus en plus réduite. La souveraineté n'est pas une panacée pour tous les maux qui affectent la société québécoise. Toutefois, le fait de maîtriser son destin ouvre des perspectives nouvelles quant à la manière d'affronter les défis auxquels nous devons faire face. Comment penser renforcer les services publics, développer une véritable politique culturelle, répondre aux défis nombreux et pressants en matière de santé et d'éducation, proposer des solutions novatrices pour appuyer les familles, repenser la fiscalité, lutter contre la pauvreté, mettre en place un ambitieux programme d'indépendance énergétique, d'aménagement du territoire et de développement durable, augmenter considérablement le soutien aux collectivités et aux entreprises, etc., sans inscrire toutes ces questions dans une perspective plus vaste qui s'articule autour de la nécessité de maîtriser tous les leviers nécessaires au développement du Québec?
Nous faisons appel aux chefs de tous les partis politiques pour qu'ils rehaussent la nature des enjeux qui sont débattus et proposent que dès la fin de cette campagne, des États généraux de la nation soient convoqués pour dégager des solutions d'ensemble quant à notre avenir collectif. Faire preuve de leadership, c'est aussi avoir le courage de dépasser les perspectives étroitement provinciales dans lesquelles nous sommes enlisés depuis trop longtemps.
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François Rocher, André Brunel, Jocelyne Couture, Micheline Labelle, Marilyse Lapierre, Philippe Leclerc, Ercilia Palacio-Quintin, Gilbert Paquette, Simon-Pierre Savard-Tremblay
Membres du CA des intellectuels pour la souveraineté (IPSO)
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