POINT DE VUE

Faut-il interdire le port du voile dans l'école laïque ?

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Port de signes religieux

Doit-on, comme en France, interdire au Québec le port du voile (le hijab) aux jeunes filles musulmanes dans l'école laïque à cause de sa signification religieuse? Ma réponse à cette question est un non emphatique.
Le livre sacré des musulmans, le Coran, ne fait pas obligation aux femmes de porter le voile. C'est le prophète Mahomet qui en a fait la recommandation à sa fille, exprimant le souhait qu'elle s'habille en couvrant tout son corps, sauf son visage et ses mains. Certaines musulmanes pratiquantes suivent cette indication du prophète. D'autres femmes le font pour perpétuer une coutume sociale Certaines le portent même, de nos jours, en signe d'affranchissement. D'autres, enfin, choisissent librement de ne pas arborer ce symbole.
Certains Québécois veulent imiter les Français et interdire ce type de vêtement dans nos écoles. La raison invoquée n'est pas le fait qu'il soit en porte-à-faux avec les normes vestimentaires généralement acceptées. Le hijab ne couvre pas le visage comme le niqab, ou la burqa d'Afghanistan. Il ne dérange personne pendant les cours et il n'empêche pas le face-à-face du maître avec son élève. Il ne s'agit pas d'un objet dangereux ou perturbant comme un couteau.
Non. La raison qui motive les opposants au port du hijab à l'école est qu'il constitue un symbole religieux. Le conflit provient du fait que, depuis les années 1960, l'école au Québec est devenue laïque, conformément à la volonté de la majorité des citoyens.
Libres de leurs croyances
Mais qu'est-ce qu'une école laïque? Ce que les Québécois ont exprimé clairement à l'époque, c'est leur volonté de libérer l'école de l'emprise hégémonique de la religion catholique. Ils ont voulu ainsi affirmer le droit à la vie privée et à la liberté d'opinion en matière religieuse, au moment où la société québécoise devenait pluraliste. L'école publique devait cesser d'imposer une religion et laisser les gens libres de leurs croyances.
C'est ici que se pose le problème. Ceux qui veulent interdire le port du hijab à l'école sont prêts à accorder la liberté d'opinion, mais à condition qu'elle reste complètement enfermée dans la sphère privée. Ils refusent à cette opinion le droit de s'afficher publiquement. C'est la liberté d'opinion sans la liberté d'expression.
Une telle dissociation est complètement inacceptable. Toute opinion définit une identité, toute identité se définit par l'appartenance à un groupe, et toute appartenance à un groupe ne se reconnaît que si elle s'exprime publiquement. Empêcher d'exprimer une opinion ou de la montrer, cela revient à empêcher d'avoir cette opinion. Les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés relient d'ailleurs toutes les deux très étroitement la liberté d'opinion et la liberté d'expression.
L'école laïque qui admet les filles et les garçons, les pauvres et les riches, les noirs, les jaunes et les blancs n'exige pas que les filles arrêtent de s'habiller comme des filles, que les riches arrêtent d'afficher leur richesse ou que les noirs et les jaunes arrêtent d'affirmer leur culture. Elle est neutre en ce sens que filles et garçons, pauvres et riches, et noirs, jaunes et blancs y reçoivent le même enseignement et le même traitement, même s'ils se reconnaissent comme différents.
Procurer aux jeunes un solide apprentissage de la diversité est l'une des tâches essentielles de l'école publique. Lorsque nous envoyons nos enfants à l'école laïque, mixte, libérale, multiethnique et multi-religieuse, c'est parce que nous jugeons normal et souhaitable qu'ils y côtoient l'autre sexe, les autres classes sociales, les autres cultures et les autres religions. Cet objectif serait impossible à atteindre si on refusait à l'autre sexe, aux autres classes sociales, aux autres cultures et aux autres religions la capacité d'afficher publiquement leurs différences.
Le port du hijab, discret et dénué de prosélytisme, ne présente aucune menace pour la laïcité de l'école. Au contraire, l'interdire serait discriminatoire et empêcherait l'école d'accomplir pleinement sa mission fondamentale de socialisation de nos enfants. Ce serait triste à en pleurer.
(Photothèque Le Soleil)
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Jérôme Fortin
Diplômé de philosophie et animateur scolaire
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