Étude

Faire son cégep en anglais, et risquer l'anglicisation

Cégep en français


Lisa-Marie Gervais - Le fréquenter... c'est l'adopter. Une étude de l'Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA) conclut que les étudiants francophones et allophones qui choisissent d'étudier dans un cégep de langue anglaise risquent fort d'évoluer dans un milieu anglophone pour le reste de leur vie.
À peine 40 % des allophones ayant fréquenté un cégep en anglais disent parler la langue de Molière au travail et la même proportion utilise le français lors de leurs achats, révèle cette étude sur les comportements linguistiques des étudiants du collégial, financée par la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). On observe cette même tendance à délaisser le français au magasin et au travail chez les francophones qui ont fréquenté un cégep en anglais.
De volumineux questionnaires ont été distribués à 3200 étudiants de cégeps francophones et de trois cégeps anglophones de l'île de Montréal. Patrick Sabourin, doctorant en démographie à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS) et coauteur de l'étude, s'attendait à des résultats moins polarisés. «Je m'attendais à l'influence de l'anglais sur le comportement linguistique [des étudiants fréquentant un cégep anglophone], mais je m'attendais à une plus grande diversité de comportements chez les allophones. Or, à quelques différences près, ils se comportent linguistiquement comme les Anglos», a-t-il constaté.
L'une de ces différences est que les allophones qui étudient en anglais ont sensiblement plus d'amis francophones (15 %), contre 85 % des allophones qui étudient au cégep en français. Et parmi les allophones qui ont fréquenté le réseau scolaire de langue française, 40 % passent du côté anglophone au niveau collégial. Les allophones scolarisés en anglais, quant à eux, passent tous, à quelques individus près, au cégep en anglais.
Quant à la consommation des biens culturels, 95 % des étudiants fréquentant un cégep de langue anglaise, qu'ils soient allophones, francophones ou anglophones, ne regardent pas de films en français et à peine 20 % du temps d'écoute de télévision de ces étudiants est consacré aux émissions de langue française. «Les anglophones qui fréquentent des cégeps anglais écoutent des films en français dans une proportion de 0,3 %. C'est pratiquement nul», note-t-il.
Le cégep, un déterminant majeur
En regard de cette étude, le niveau collégial serait un déterminant majeur de la langue utilisée pour le reste de notre vie. Ces conclusions sont également celles d'une étude réalisée par Robert Maheu, ex-directeur de recherche au ministère de l'Éducation, qui démontre qu'il y a une relation claire entre la langue des études supérieures et la langue de travail, et que faire ses études supérieures en anglais augmente fortement la probabilité d'avoir un emploi, un an ou deux après la fin des études, ailleurs qu'au Québec.
Le président de la Fédération étudiante collégiale du Québec, Léo Bureau-Blouin, souhaite toutefois apporter quelques nuances. «Il y a plusieurs facteurs. La problématique de la langue française est plus large que le collégial», croit-il. On s'étonnera moins que des étudiants qui viennent d'un pays où l'anglais prédomine, comme l'Inde par exemple, souhaitent fréquenter un cégep anglophone après avoir été scolarisés en français. «Mais on n'est pas convaincus que l'application de la loi 101 au cégep nous amènera à nos fins», ajoute-t-il.
Même son de cloche à la Fédération des cégeps, qui ne veut pas de l'application de la loi 101 au cégep. «Ça nous semble démesuré et excessif de croire que la fréquentation obligatoire du cégep en français va changer ça», a dit Caroline Tessier, directrice des communications à la Fédération, en faisant allusion à la perte de vitesse du français. «Chose certaine, ça nous semble préoccupant.»
Pierre Curzi, député péquiste dans Borduas, s'inquiète quant à lui de la progression de l'anglais comme langue utilisée dans la vie privée. «Là où ça devient périlleux, c'est dans la langue d'usage avec les amis. Chez les allophones, c'est très élevé. Je vois ce que j'appelle un "transfert culturel", où on passe d'une culture majoritairement francophone et on adopte une culture minoritairement francophone», a-t-il indiqué.
La CSQ n'a pas encore de position sur le sujet, mais confirme que des réflexions sont en cours au sein de l'organisation. «On a collaboré à l'étude justement parce qu'on voulait avoir un portrait de la situation et entamer la réflexion sur le sujet», rapporte Marjolaine Perreault, attachée de presse de la CSQ.


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