Facebookman

Une bave sécrétée dans les officines de propagande fédéraliste

Après des photos de lui en famille, en fauteuil roulant, serrant la main des bonnes gens de Saint-Jérôme, d’Argenteuil et de Saint-Donat, après les bons mots sur les soirées-bénéfices et les soupers spaghetti, l’homme pressenti pour devenir le prochain chef du PQ, Pierre Karl Péladeau, utilise désormais sa page Facebook pour tirer sur ses adversaires et, surtout, pour répondre aux questions éthiques qui, à la manière de cuissards trop serrés, lui collent à la peau.

Un homme qui possède le plus gros empire médiatique du Québec (35 à 40 % du marché), et une capacité énorme d’influencer l’opinion publique, peut-il aussi être député, chef de parti et éventuellement premier ministre sans se délester de ses propriétés ou au moins ériger un pare-feu entre lui et son château fort ?

Cette question essentielle non seulement pour l’avenir politique du député de Saint-Jérôme, mais aussi pour le bon fonctionnement de la démocratie, M. Péladeau a toujours refusé d’y répondre, se contentant de répéter qu’il était en règle, en tant que simple élu, avec les dispositions de l’Assemblée nationale. Avec les révélations sur les pressions qu’il aurait exercées dans la vente des studios Mel’s (en faveur de Québecor) et, surtout, l’adoption de nouvelles dispositions régissant les députés et leur lien à des entreprises médiatiques, il fallait trouver mieux.

Que fait M. Péladeau ? Il se tourne vers ses amis Facebook et rumine longuement sur la Charte des droits et libertés (« Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation »), insinuant ainsi qu’il a été vilipendé et qu’il pourrait même avoir recours à la justice (« peut porter plainte à la Commission toute personne qui se croit victime d’une violation des droits »). Mais sans pour autant répondre à la question de fond : est-il normal que quelqu’un au centre du pouvoir politique soit également au centre, même indirectement, du pouvoir médiatique ?

Vous êtes un magnat de la presse, un des hommes les plus puissants au nord du 49e parallèle, vous aspirez aujourd’hui au poste de commande du parti politique le plus important des 40 dernières années ; mieux, vous voulez faire de votre « province » un véritable pays, à la fois fier et prospère, et, pourtant, vous fuyez les journalistes, vous tournez le dos aux conférences de presse, vous refusez de jouer selon les règles du jeu qui, jusqu’à nouvel ordre, circonscrivent l’arène politique. Vous aviez l’habitude d’être entouré de gens qui vous applaudissent et vous apprécient et vous avez trouvé en Facebook la parfaite reproduction de ce petit cocon douillet. « Grâce à vous je retrouve espoir en la politique ! » « Vous avez de la graine de premier ministre, Monsieur. » « Aussi beau que Justin Trudeau. » Sur le mur Facebook de PKP, j’ai repéré deux seuls commentaires un peu critiques, dont « pas fort », à la suite de sa tirade sur la Charte des droits et libertés.

L’équivalent de se cacher derrière les jupes de sa mère, la stratégie « face de bouc » de Pierre Karl Péladeau, loin d’infirmer les critiques à son égard, au contraire les justifient. Visiblement, l’héritier de Québecor se comporte davantage en homme d’affaires qu’en homme politique. On l’a vu dans l’affaire des studios Mel’s et on le voit ici dans sa réaction à la « motion PKP » proposée par François Legault. « Loufoque », écrit-il, car elle pourrait forcer les Productions J (appartenant à sa conjointe) à se défaire « des émissions de télévision les plus populaires de l’histoire ». Comme si la rentabilité était ici la première chose à considérer.

Il est vrai que la nouvelle mesure est mal formulée, embrasse possiblement trop large et, surtout, a trop l’apparence d’être un missile anti-Péladeau pour véritablement régler les conflits d’intérêts en ce domaine. Cela dit, on ne peut pas faire comme si cette situation n’existait pas ou prétendre qu’une « fiducie sans droit de regard », mesure à laquelle M. Péladeau se dit prêt à se plier advenant son ascension au trône, soit suffisante. Elle ne l’est pas.

En plus d’écraser un potentiel candidat à la direction du PQ, l’affaire PKP a réduit les deux autres, qui se réclament du centre gauche eux aussi, aux louvoiements malséants. « Je suis convaincu que Pierre Karl va trouver des solutions », a dit avec la mièvrerie qui le caractérise Bernard Drainville. Martine Ouellet, elle, fait comme si elle ne voyait rien. Chacun ménage ses intérêts et se pile sur la langue au nom de se faire ami avec le prochain grand boss. On désespère de la gauche, aussi pour l’avenir du Parti québécois, si, pour eux aussi, le principe suprême devient au plus fort la poche.


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