Face aux migrants, l'Europe dessaoulée et soumise

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La pression monte sous le couvercle

Plus de photos de noyés. Plus de selfies. Plus de grandes phrases. Pourtant, rien n'a changé. Les « migrants » continuent d'affluer. Comme hier. Des dizaines meurent chaque mois. Comme hier. C'est l'Europe qui a changé. Comme jamais. Les uns après les autres, ses dirigeants renoncent à ce qu'elle disait être. Ce qu'ils proclamaient depuis des décennies a fait pschitt ! en une année. L'« ouverture ». La « fin des frontières ». L'« asile pour tous ». Les bonnes intentions n'ont pas résisté au premier million d'entrées illégales. La débandade est venue de haut. Angela Merkel paniquant après avoir encouragé les migrations au point de violer la procédure Schengen pour rétablir les contrôles aux frontières allemandes.
L'Allemagne, qui avait tant voulu cette « liberté de circulation » essentielle à son économie de sous-traitance et de dumping social... Mais la situation est grave. Ce n'est plus seulement Viktor Orban, l'horrible leader hongrois, mais Sigmar Gabriel, le chef du Parti social-démocrate allemand, qui appelle à « réduire le nombre de réfugiés ». En invoquant « la cohésion de la société allemande ».
Les Länder découvrent que ce n'est pas simplement de la force de travail qui arrive, comme disent le patronat allemand et les experts européens. Mais des populations. Avec des habitudes culturelles pas toujours adaptées à ces « valeurs » européennes dont le président de la République, Joachim Gauck, sortant de sa discrétion institutionnelle, a rappelé qu'elles « ne sont pas négociables ». Moins explicites, les camarades sociaux-démocrates français adoptent la même ligne. « L'Europe doit dire qu'elle ne peut plus accueillir autant de migrants, ce n'est pas possible », implore Manuel Valls. La rapidité de ce changement de discours n'atténue pas son caractère historique : en quelques mois, le droit d'asile a perdu le statut de principe absolu avec lequel on ne compte pas. Mais ils n'ont pas le temps de se demander s'il faut avoir honte ou pas de dire stop qu'ils s'aperçoivent qu'il n'y a pas de pédale de frein dans la machine Schengen.
« Il est trop facile aujourd'hui d'entrer en Europe ! » s'indigne Donald Tusk, président du Conseil européen. C'est le vice des bonnes intentions européennes : la déconstruction l'emporte toujours sur la construction. On a mis fin aux frontières nationales sans édifier de vraie frontière européenne et sans politique migratoire commune. Bruxelles peut dire stop, les migrations continuent. Alors Bruxelles se venge de sa naïveté sur ses boucs émissaires. L'Italie et la Grèce, accusées d'être des passoires face à l'afflux de populations provoqué par l'effet Merkel. Tous s'étaient déchargés sur les pays du Sud une fois la liberté de circulation proclamée « valeur structurante » de l'Union. L'irresponsable accord de Dublin leur a imposé l'accueil des vrais et des faux demandeurs d'asile. Sans jamais leur en donner les moyens.
Angela Merkel découvre « l'échec complet des contrôles aux frontières ». C'est la grande révision : il faut « construire » cette frontière commune oubliée. Il faut que Frontex, basée à Varsovie (!), dont le corps de gardes-frontières n'a jamais été créé, devienne une « vraie police » et « que soit vérifiée l'identité de ceux qui entrent et qui sortent », dit la Commission. Il faut que les migrants économiques (la majorité de ceux qui arrivent par l'Italie) soient renvoyés chez eux, dit Hollande, alors que la France ne le fait pas. Il faut tant de choses qu'en attendant, même les « meilleurs élèves » - telle la Suède gouvernée par une coalition verts-sociaux-démocrates - reviennent aux frontières nationales. Elles ne sont plus une offense au genre humain.
Le seul programme immédiat est la création de hot spots (« centres de tri » dans la novlangue bruxelloise). Encore un échec. Sur les six prévus en Italie, un seul existe. Qui ne fonctionne pas. Plus rien n'est maîtrisé ni maîtrisable, comme vient de l'avouer Angela Merkel : « Si je définis aujourd'hui une limite et que demain cette limite n'est pas respectée parce que plus de personnes arrivent, alors je n'aurai pas tenu ma promesse. » La chancelière allemande a la franchise de son impuissance. Dont son pragmatisme a tiré la conclusion : « Sans la Turquie, nous ne trouverons pas la solution. » S'en remettre à d'autres de ce que l'Europe est incapable. Erdogan, lui, peut tenir ses frontières. Demandons-lui de faire de son pays un énorme hot spot.
A force de s'être crue sortie de l'Histoire, l'Europe s'abaisse ainsi à remettre son destin entre les mains d'un personnage qui prend plaisir à défier ses valeurs. En professant un islam sûr de lui et dominateur : « Les mosquées sont nos casernes, les minarets, nos baïonnettes, les dômes, nos casques, et les croyants, nos soldats. » En venant haranguer en plein Strasbourg les Turcs d'Europe, leur recommandant de ne pas s'intégrer. En se réclamant de l'exemple institutionnel de Hitler. Bien sûr, il n'a pas dit non à la supplique de Bruxelles. Il veut de l'argent, ce qui est légitime, mais aussi des visas européens pour les 75 millions de Turcs et la relance des négociations d'adhésion de son pays à l'Union. Merkel dit se réjouir du nouveau « dynamisme » de la candidature turque à laquelle elle s'opposait hier... Ne pas être franc avec un interlocuteur qui ne l'est pas n'arrange jamais rien. Ni faire semblant de ne pas entendre ce qu'il dit. Surtout quand il s'amuse à donner une leçon à l'Europe : à force de renoncer à sa souveraineté, on prend le risque d'être soumis à celle des autres.


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