Exit le latin, entre Jamel Debbouze…

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L’inculture multiculturaliste

On pourrait dire aussi bien : Le Petit Remplacement et le Grand.
Il y a des lustres que l’In-nocence et moi répétons que la Grande Déculturation était la condition nécessaire du changement de peuple et de civilisation, et que, selon la formule dont je me suis beaucoup servi, un peuple qui connaît ses classiques ne se laisse pas mener sans regimber dans les poubelles de l’Histoire (comme est en train de faire le nôtre). Seulement nous n’allions pas assez loin. Le remplacement systématique de la culture par les cultures populaires (ou pop), de la musique par les variétés, de l’art par le jeu, de la vie avec la pensée par le divertissement de masse : il ne faut pas voir là la seule condition de la substitution ethnique et du passage d’une civilisation à une autre ; c’en est en fait la matière même, le contenu, la réalité vraie. Non seulement le multiculturalisme est une inculture mais l’inculture (de nos jours) est consubstantiellement multiculturelle (et remplaciste, remplaceuse).
La même semaine nous apprenons que, cette fois, c’en est fait du latin et du grec dans l’enseignement public et que le Premier ministre verrait volontiers y figurer en revanche le stand-up et Jamel Debbouze – en somme les deux colonisations, l’américaine et l’arabo-musulmane, qui se disputent et qui s’entendent (fort bien) pour la conquête du territoire et des âmes. On n’aura pas été sans remarquer que, toujours la même semaine, le président Barack Obama a fermement insisté (comme si nous étions déjà une colonie) pour que l’Europe intègre davantage ses conquérants islamiques (c’est-à-dire s’intègre à eux). Exeunt les humanités classiques, enter le music-hall et le bled de banlieue.
Je n’aime pas parler de la grande culture parce que parler de la grande culture, ou de la grande musique, d’ailleurs, c’est déjà s’exprimer dans le vocabulaire de la petite, s’avouer vaincu, les avouer vaincues, elles, la culture, la musique. Disons plutôt la culture, donc, même si le mot a bien sûr une généalogie, assez courte, d’ailleurs, et ne correspond qu’à une période donnée de l’histoire de la vie de l’esprit, et de l’histoire de l’art : celle qu’on peut appeler l’ère bourgeoise (1789-1968, mettons, ou bien : milieu du XVIIIe s. – fin du XXe). La question est de savoir si la culture dans cette acception-là est un bien éternel de l’humanité, qui se trouve avoir appartenu à la bourgeoisie pendant cette période-là, comme un privilège parmi d’autres ; ou bien si elle est une pure sécrétion de cette classe, intrinsèquement liée à elle, et donc vouée à disparaître avec elle. Personnellement je préfère la première hypothèse, il va sans dire ; mais je suis obligé de reconnaître que la seconde paraît, hélas, plus étroitement confirmée par les faits : plus de bourgeoisie, plus de culture.
La France n’a pas connu de révolution d’Octobre ou autre bouleversement communiste, mais la transformation sociale, en un siècle, y a été tout aussi radicale, sinon plus, qu’en Russie pendant toute l’ère soviétique. Certes il y a encore chez nous des inégalités économiques, il paraît même qu’elles s’accroissent ; mais les inégalités culturelles, et donc sociales, dans une certaine mesure, ont été considérablement réduites. Il y a encore des riches, mais, selon la formule géniale et tant citée de Gómez Dávila, ce ne sont plus que des pauvres avec de l’argent. Il y a encore des bourgeois, mais il n’y a plus de bourgeoisie. Il y a encore des élites, mais ce ne sont plus que des élus ou des favorisés du système, pour ne pas dire des profiteurs. Il y a encore des individus cultivés, mais il n’y a plus de classe cultivée. La culture (bourgeoise ?) a été remplacée par les activités culturelles, et par l’industrie du même nom. C’est ce que j’appelle le Petit Remplacement : énorme, colossal, mais peu de chose par rapport au Grand, le changement de peuple et de civilisation.
Le principe animateur est le même ici et là, et Nietzsche en avait bien vu la formidable puissance : c’est le ressentiment – de classe d’un côté, de race de l’autre ; ou, dans les deux cas, d’ex-colonisés à anciens colonisateurs. On voit bien chez les pédagogistes égalisateurs l’acharnement à extirper de l’enseignement la culture, la culture « générale », comme privilège abusif des anciens maîtres, parce qu’elle fut la culture bourgeoise. Stand-up, Jamel Debbouze, tags dans les musées, séminaire de rap à Normale supérieure, JoeyStarr hôte régulier de l’Élysée, etc. : les remplacistes remplacent la culture par la Pop Culture, dont le nom n’a pas assez retenu l’attention, depuis soixante-dix ans, alors qu’il disait très nettement sa portée et son origine sociales.
Pop, c’est populaire : à la fois prolétaire et petit-bourgeois, en somme, malgré les tentatives de récupération « élitistes » (sur le Pop Art, en particulier). Mais populaire, comme par hasard, c’est l’adjectif même du tour de passe-passe ethnique et civilisationnel. On sait depuis longtemps que dans la langue faussée de l’idéologie remplaciste, la langue du faussel, du faux réel, les quartiers menteusement appelés populaires, de même que les milieux populaires, ce sont ceux où le peuple originel ne figure plus, où il a déjà été remplacé. Les deux remplacements n’en font qu’un.


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