Étienne Parent (1802-1874) - la «soumission honorable»

Anglicisation du Québec

Étienne Parent. Discours. Édition critique par Claude Couture et Yvan Lamonde. Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 2000. 463 p. (Coll. Bibliothèque du Nouveau monde)
Personnage moins charismatique et moins connu que les Papineau ou La Fontaine, Étienne Parent a néanmoins marqué d'une manière indélébile l'histoire canadienne-française du XIXe siècle. Tour à tour journaliste, député, fonctionnaire et conférencier, celui que Gérard Bergeron a appelé «notre premier intellectuel» a été à la politique ce que François-Xavier Garneau a été à l'histoire, c'est-à-dire un bâtisseur de l'imaginaire canadien-français. Voici maintenant que Claude Couture et Yvan Lamonde publient une édition critique des conférences publiques qu'Étienne Parent a données à Montréal (1846-1848) et à Québec (1852).
Dans une longue introduction, Couture et Lamonde remettent la pensée d'Étienne Parent dans son contexte national et international. Pour ce faire, ils font appel aux éditoriaux publiés dans Le Canadien avant 1842 aussi bien qu'aux conférences publiques d'après 1846. Ils articulent cette pensée autour de deux idées fondamentales : liberté (dans le sens libéral et non républicain du terme) et nationalité. D'une part, le discours de Parent est libéral par sa défense du gouvernement responsable dans les décennies 1830-1840 ainsi que par ses exhortations faites à ses compatriotes à s'intéresser à l'économie politique et à la réforme sociale dans les décennies 1840 -1850. D'autre part, son discours est nationaliste. Parent est décrit comme ayant défini le nationalisme canadien-français culturel axé sur la défense des institutions, de la langue et de la foi sans faire appel au principe politique d'autodétermination des peuples. Les auteurs font même du premier éditorial de Parent comme éditeur du journal Le Canadien, le 7 mai 1831, «la magna carta du nationalisme canadien-français» (p.78).
En mettant l'accent sur le «libéralisme modéré et innovateur» (pp.76-84) de Parent, Couture et Lamonde s'inscrivent dans l'historiographie récente qui recherche les racines libérales de l'expérience canadienne et québécoise. Leur appartenance à cette école historique est d'autant plus évidente à la lecture de leur survol historiographique qui couvre la période allant de 1846 à nos jours. De plus, reprenant l'analyse classique voulant que Parent ait été découragé par l'enchaînement des événements entre 1837 et 1840, Couture et Lamonde le présentent comme prêt à une «soumission honorable» face aux décisions métropolitaines et plus tard résigné à l'assimilation. En réitérant à maintes reprises l'attitude de Parent lors de la crise de 1837-1840, ils s'inscrivent également dans l'historiographie dominante depuis la Révolution tranquille qui étudie l'aspect troublé de la pensée de Parent.
Après l'introduction, les auteurs présentent le texte des neuf conférences d'Étienne Parent. On redécouvre avec plaisir les textes d'un homme articulé et érudit. Cinq conférences portent directement ou indirectement sur l'économie politique. Parent y vante les mérites de l'industrie et du commerce, la nécessité de propager les connaissances des mécanismes économiques au sein de la société ainsi que l'obligation de respecter les lois de la concurrence pour vivre dans un monde harmonieux. Il défend également les vertus du travail par lequel l'individu travaille à son avancement, à celui de son peuple et à celui de l'humanité. Puis, Parent aborde des sujets plus «sociaux». Il plaide pour un meilleur système d'éducation, nécessaire pour assurer l'ordre dans la société. Il enchaîne avec une conférence sur le rôle du prêtre dans la société. Il présente avec enthousiasme les mérites du catholicisme à plusieurs reprises. Il traite enfin, avec des accents antidémocratiques, de la nécessité pour une société bien organisée de confier son gouvernement aux gens munis d'une intelligence supérieure.
Libéraux ou nationalistes, les propos de Parent mystifient encore les historiens. Selon nous, ses conférences possèdent une très forte résonnance nationaliste sous le couvert du libéralisme. Ainsi, le développement de l'industrie, la compréhension et l'application des principes de l'économie politique visent essentiellement la conservation de la nationalité (p. 98). D'ailleurs le commerçant doit considérer non seulement son intérêt particulier lorsqu'il prend des décisions mais également l'intérêt général (p. 280). Parent est alors loin de l'idée que l'intérêt général n'est que la somme des intérêts particuliers (Adam Smith, The Wealth of Nations, IV, ii). Sans compter qu'en cas de litige entre les intérêts de la Patrie et ceux des principes économiques et politiques, les premiers doivent primer (pp. 285, 411). La propriété apparaît moins comme une fin en soi (dogme libéral) que comme un moyen pour permettre la réalisation de plus grandes choses (pp. 218-219). Enfin, les fondations de la société apparaissent plus métaphysiques que chez les auteurs libéraux (pp. 245-6, 290).
En fait, bien préparés par la mise en contexte initiale, les lecteurs pourront tâcher de comprendre par eux-mêmes l'articulation du discours de Parent, articulation qui est loin d'être simple. C'est là la principale valeur de l'ouvrage. Nous devons être reconnaissants à Couture et Lamonde d'avoir donné accès au public à ces documents trop souvent oubliés par les historiens contemporains.
Michel Ducharme
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Mens. Revue d'histoire intellectuelle de l'Amérique française





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