Et si la rue avait raison?

Conflit étudiant - sortir de l'impasse

Le 26 mai, dans un papier du Devoir intitulé La victoire de la rue, madame Bombardier nous ouvre le coeur de son mépris envers le mouvement étudiant contre la hausse des frais de scolarité, qui s’est rapidement transformé, merci à la Loi 78 entre autres, en une révolte contre les tares du régime politique actuel et de ceux qui le représentent.
À la lire, on peut penser pis que pendre de supposés enfants gâtés sans tête. Grosso modo, le texte de Mme Bombardier constitue une défense et illustration de la situation sociale et politique du Québec d’avant cette contestation, qu’elle présente comme un enfantillage quasi-criminel. Ce qui la dérange, surtout, c’est le sens élargi qu’est en train de prendre ce mouvement, soit non seulement un refus de la hausse des frais de scolarité mais la contestation du régime politique et social, et c’est bien ainsi qu’une fraction importante des citoyens a fini par l’interpréter.
Madame Bombardier réagit comme si cette crise n’avait pas fini par devenir un révélateur de tout ce qui bloque la société québécoise, tout ce qui l’a encarcanée dans un modèle socio-politique néo-libéral aux antipodes de la justice sociale et de la justice tout court, un modèle mondialiste au service d’une oligarchie financière qui n’a de cesse de détruire toutes les assises des États nationaux et sociaux afin d’imposer un carcan universel à tous les peuples : la casse des salaires et des protections sociales pour transformer la population en une masse atomisée, fragilisée et corvéable au profit d’un infime noyau de profiteurs.
Voilà quarante ans, j’aurais sans doute réagi de la même manière parce que je n’avais pas encore, par manque d’expérience, de sources de renseignement autres que les journaux quotidiens et d’esprit critique, réalisé que le monde qu’on nous présente et le monde tel qu’il est étaient incompatibles.
Madame Bombardier ne semble même pas avoir réalisé qu’à elle seule, la Loi 78 nie à peu près tous les principes de la société dont elle se réclame, de sorte que la gouvernance démocratique qu’elle défend ne correspond pas au comportement du pouvoir. Si on y ajoute tous les scandales et les irrégularités qui ont affligé ce même pouvoir depuis plusieurs années, il faut être un peu sourd et aveugle pour donner des leçons de morale politique ou sociale en s'appuyant sur la légitimité de ce dernier.
Le point de vue de madame Bombardier est partagé par nombre de gens qui, comme elle, et de bonne foi, croient tout ce que leur raconte la société officielle telle qu’on la leur a présentée à l’école et dans les médias grand public. Cela relève de ce que Milan Kundera nomme la non-pensée des idées reçues.
Bien entendu, il ne suffit pas d’une telle contestation pour transformer l’opinion publique et encore moins le modèle sociopolitique, mais c’est déjà une indication que le feu couve encore sous la cendre, et c’est déjà quelque chose d’énorme, surtout après toutes ces années de résignation, de conformisme et de rectitude politique.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé