Enseigner le français aux immigrants

Oui, enseigner le français aux immigrants : une profession passionnante mais vécue dans un contexte paradoxal pour le moins inconfortable et révoltant.

Tribune libre

Enseigner le français aux immigrants : une profession passionnante vécue dans un contexte paradoxal.
S’il est une profession passionnante, c’est bien celle de l’enseignement du français langue seconde, auprès de la clientèle adulte immigrante. Les professeurs représentent la figure emblématique du Québec actuel, ils sont le symbole de ses racines et de son avenir.
La pertinence de ce travail, je n’ai jamais mise en doute. Je l’accomplis avec fierté et enthousiasme.
Toutefois, au fur et à mesure des années, le climat social de l’enseignement du français a passablement changé. L’horizon n’est plus le même. Ne sommes- nous pas de plus en plus fragilisés, incertains de l’avenir de notre langue et de celui de notre peuple? Ainsi l’anglicisation de la province, de Montréal surtout, et nos difficultés à nous affirmer comme peuple francophone minent mes élans et ma ferveur, comme je crois bien, celle de nombreux collègues.
Le terrain est miné de toutes parts et face à cela, une question m’habite. À quoi servons-nous au juste? À boucher des trous, à éteindre un feu, à panser une plaie? Que sais-je?
Pourquoi enseigner le français aux immigrants? Pour palier au manque de main d’œuvre actuel? D’accord. Pour faire notre part sociale sur cette terre en constant déséquilibre (guerres, injustices, répressions…). Oui, bien sûr. Pour créer des enfants d’immigrants qui parleront et vivront en français? J’en suis. Mais si au fond et en bout de ligne, cela permettait tout simplement à notre gouvernement de camoufler son incapacité à régler une fois pour de bon la question de la langue au Québec? Ça, je le refuse et le conteste.
Les nouvelles mesures mises sur pied par le parti libéral (cours sur mesures, en entreprises, cours en ligne etc…) seront certes utiles aux immigrants qui peinent à se trouver du travail. Il est d’ailleurs plus que temps que nos gouvernants soient logiques avec leurs programmes d’immigration mais, ces mesures ne sauraient suffire. Ce ne sera ni plus ni moins qu’un petit pas en avant. Une façon bien détournée de jeter de la poudre aux yeux et de se laver les mains de tout le reste.
Et pour cause, la facilité avec laquelle on s’adresse en anglais à tout immigrant demandant à être servi dans cette langue et cela même s’il dit connaître le français, (le client n’a-t-il pas toujours raison?), la prépondérance de l’anglais dans les relations entre les entreprises et le gouvernement, l’octroi de subventions pour l’apprentissage de l’anglais (dans le but d’améliorer l’employabilité des immigrants,) à des organismes chargés de la francisation, la lenteur et/ ou la non-traduction des documents en français, bref toutes ces constats, fruit de recherches sans équivoque aucune, traduisent le peu d’importance, voire le peu de considération que notre gouvernement accorde au français; j’irais même jusqu’à dire : ça transpire la mauvaise foi de nos dirigeants.
Cette attitude gouvernementale a un impact considérable sur la clientèle immigrante. Cela fait des étudiants peu convaincus de la pertinence d’apprendre le français et cela entretient la morosité ambiante.
Bien naïfs sommes-nous, nous professeurs de français langue seconde, de faire de nos cours des bastions de francisation alors que nous savons qu’en dehors de la classe, l’enjeu est tout autre. Alors que nous savons pertinemment que notre langue elle-même est en danger de disparition. À long, moyen terme bien sûr.. En l’an 2020? Avant? Après?
Qu’importe la date. En l’absence de mesures fermes et d’une volonté politique claire, la réalité nous rattrapera et nous coincera un de ces jours (n’oublions pas que les locuteurs de langue française ne représentent plus que 49% de la population montréalaise).
Bref, le déclin des langues est un phénomène réel et contre lequel il nous faut nous battre si nous ne voulons pas que la nôtre disparaisse, en douce, sous les flots bleus du fleuve Saint-Laurent.
Difficile de faire comme si cette conjoncture n’existait pas. Comme si en terre québécoise tout allait bien, comme dans le meilleur des mondes.
Comme si chacun de nos étudiants-immigrants trouverait ici un travail en français. Qui plus est, un travail dans sa compétence et son domaine.

L’heure est à l’urgence et il faut plus que des cours de français pour éviter notre disparition. Il faut poser des gestes politiques clairs, concrets. Gestes connus, répétés, consignés déjà depuis longtemps par tous les intervenants soucieux de l’avenir du Québec.
Il nous faut : 1) consolider, renforcer la loi 101 2) obliger les immigrants à continuer leurs études dans le réseau des Cégeps français 3) obliger les petites P.M.E. à franciser leurs entreprises. 4) contrôler efficacement l’affichage en français. 5) augmenter le nombre de classes de francisation. 6) diminuer le temps d’attente pour l’accès aux cours. 7) Établir une charte de la citoyenneté québécoise 8) Devenir un peuple libre et souverain.
Côtoyant chaque jour des immigrants, je peux à loisir témoigner de l’ambiguïté de leur situation. C’est la même que celle que nous vivons. Vue simplement d’un autre point de vue. L’envers d’un même décor. L’arrière-scène.
Effectivement, ces derniers se rendent compte très vite que si le Québec est une terre d’accueil ouverte et de culture française, elle reste néanmoins aux prises avec des contradictions internes visibles. Ils subissent d’ailleurs les frais de cette situation ambigüe et c’est pourquoi nombre d’entre eux poursuivent parallèlement à leurs stage en francisation des cours en anglais et/ou bien, d’une façon ou d’une autre, ils projettent se tourner à plus ou moins brève échéance vers l’apprentissage de l’anglais. Leurs confidences et révélations à ce sujet ne manquent pas. C’est tout à fait normal et légitime. C’est pour eux une question de survie et d’avenir. L’espoir est en eux comme une étoile sur fond de ciel. Palpable aussi leur insécurité, leur incertitude.
Quand viendra leur totale désillusion?
La mienne, je la dissimule. Je mime pour eux la confiance en leur avenir, en celui de ma terre, de mon peuple. Mais en mon for intérieur je rage et je fulmine. Oui, nous parlons français, oui c’est la langue officielle du Québec. Oui, les immigrants apprennent le français. Avec courage, curiosité, intérêt. Oui, ils désirent s’intégrer et nombreux le tenteront par tous les moyens. J’admire leur détermination et leur persévérance. MAIS… il y a le géant USA d’à côté, il y a le Canada d’à côté, il y a l’anglicisation sournoise du Québec et tout le contexte de la mondialisation. Comment sous de telles influences ne s’en tiendraient-ils qu’au français?
Notre gouvernement libéral et fédéraliste dans son essence même, feint la bonne gouvernance, feint à l’occasion, la défense de notre culture et de notre identité. Mais a-t-il vraiment à cœur la pérennité de notre culture?
La tête dans le sable est-ce une façon de gouverner? Les deux mains sur un volant dit-il?? Pour aller où? Avec quelle vision?
Poser ces interrogations, n’est-ce pas y répondre?
Faire l’indépendance du Québec résoudrait une fois pour toutes cette épineuse question de la survie de notre langue, tel est mon constat.
Oui, enseigner le français aux immigrants : une profession passionnante mais vécue dans un contexte paradoxal pour le moins inconfortable et révoltant.
France Bonneau

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France Bonneau est professeure de français auprès des adultes-immigrant-e-s . (MICC)





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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    1 juin 2011

    Vous êtes surprenants à lire les réactions à cet article. Voici une province où nous affluons en tant qu'immigrants francophones, puis que le français est notre langue maternelle. Mais hélas, malgré le courage que nous avons de reprendre toutes nos études dans les universités québécoises, alors que nous arrivons déjà diplômés (informaticiens, médecins, enseignants). Mais il nous est impossible de trouver un travail dans nos domaines puisqu'on demande systématiquement d'être bilingue. Et vous les québécois vous étonnez que les immigrants finissent par abandonner le français? C'est évident: puisque pour s'intégrer sur le plan du travail il faut parler anglais alors qu'uniquement le français ne me permet pas de travailler décemment au Québec.

  • Archives de Vigile Répondre

    28 mars 2010

    Il m'apparait évident que la clé de la véritable francisation c'est la langue de travail et de l'enseignement. Quand on voit comment le laxisme de ce gouvernement poche lance un signal à peine voilé aux immigrants à l'effet que le français ne sert pas à grand chose, comment s'étonner que les artisans de la francisation éprouvent une lassitude de plus en plus marquée.
    En appui à ma conjointe je suis allé à Montréal participer à la manif syndicale il y a deux semaines. Sur le chemin du retour, à pieds sur la Ste Catherine, j'ai constaté le nombre effarant de gens, groupes de jeunes et moins jeunes déambulant et parlant anglais, dont un certains nombre je le soupçonne étaient des Québécois de souche comme nous.
    Quand la question de la langue d'enseignement jusqu'au CEGEP a été mise sur la place publique au temps du gouvernement Landry, ce dernier a reculé. Aujourd'hui il aboie dans les journaux qu'il faut extensionner l’application de la loi 101 au CEGEP...
    Quand il a été question d'assujettir les entreprises de moins de cinquante employés à la loi 101, un mur de réprobation s’est levé, et à mon grand étonnement incluant les syndicats. Dont, et je dirais surtout la FTQ. Ça n’avait pas de bon sens…
    En fait, à chaque fois qu’il faut poser des gestes significatifs qui impriment un visage français à notre société, toutes les raisons sont bonnes pour ne rien faire.
    Comment se surprendre aujourd’hui de la situation qui s’étale devant nos yeux et remplit nos oreilles ! Et dans le discours du PQ, à part des déclarations de principe qui me semblent (j’espère me tromper) ne pas vouloir dire grand-chose, je ne perçois pas d’orientation claire et surtout ferme qui montre que la situation changera, même avec un gouvernement Marois.

  • Archives de Vigile Répondre

    27 mars 2010

    Un texte réaliste madame Bonneau.
    C'est un bien grand malheur que d'avoir voulu basé notre existence sur la seule langue française, et non sur nos us et coutumes que certains méprisaient et méprisent encore.
    Lorsque nous serons en minorité dans 10 ou 15 ans, et que les immigrants, et aussi bien des Québécois, auront choisi l'autre langue pour survivre, nous assisterons à notre fin parce que nous aurons jeté le bébé avec l'eau du bain.
    Pessimiste? Je vis au centre-ville et je vois la situation se détériorer à toutes les semaines. Dans un dépanneur la semaine dernière sur Saint-Denis, j'ai assisté à une altercation musclée entre « parlants » anglais : une Chinoise, un jeune anglophone affamé et une Bobonne montréalaise francophone qui pratiquait son anglais sans doute. J'ai quitté la scène du crime avant que la police n'intervienne en anglais sûrement. Nécessité oblige. Je ne voyais pas ce que j'aurais eu à faire dans cette algarade.
    Peureuse? Pas du tout. Il y a longtemps que j'ai dépassé la peur de tout et de rien. Je me suis dit « qu'ils s'arrangent entre eux ».
    J'ai aussi entendu la semaine deux dames latinos, je croirais que c'était des Portuguaises, traiter les Québécois de lâches. Qu'ils ne pouvaient pas compter sur nous... Etc...

  • Archives de Vigile Répondre

    27 mars 2010

    « Pourquoi les francophones de souche devraient-ils s’inquiéter de ce modèle de la culture québécoise, comme francophonie nord-américaine circonscrite par la langue, livrée aux interactions entre ses composantes et ouvertes à toutes les expériences du continent ? Qu’ont-ils donc à y perdre, sinon une conception trop prudente, un peu figée même, de leurs appartenances et du destin de la culture francophone au Québec ? Faut-il vraiment s’inquiéter de ce que le glissement proposé, de Canadiens français à francophones québécois, étendent l’identité des premiers en l’insérant dans un ensemble culturel où ils demeurent largement majoritaires mais qui est défini avant tout par un critère strictement linguistique. »
    (Gérard Bouchard, « La nation québécoise au futur et au passé », publié en 1999 chez VLB, p. 169)

  • Réjean Labrie Répondre

    27 mars 2010

    Madame,
    Vous nous faites comprendre à mots couverts la réticence de l'immigrant à apprendre notre langue à l'attirance nulle par rapport à l'anglais.
    Sans cet attachement viscéral que nous avons pour notre langue maternelle, il effectuera le transfert définitif à l'anglais dès que l'occasion se présentera pour se fondre dans la masse nord-américaine.
    Et dès qu'il seront majoritaires, les immigrants vireront à l'anglais comme ils le font actuellement à Montréal.
    Réjean Labrie, de Québec