Des élections fédérale dont on se serait volontiers passé sont au programme le 2 mai prochain. En 2008, l’opposition avait blâmé avec raison Stephen Harper pour avoir violé sa propre loi obligeant un gouvernement à respecter son mandat de quatre ans sans déclencher d’élections anticipées. En 2011, c’est la même opposition qui renverse le gouvernement deux ans avant terme avec la perspective, soit de reconduire Stephen Harper dans un mandat minoritaire pendant quatre ans, donc deux de plus que celui qu’il était en train de remplir, soit, pire pour elle et pour de nombreux électeurs qui redoutent cette avenue, de donner au parti au pouvoir les clefs du premier gouvernement conservateur depuis Brian Mulroney. Si tel était le cas, la déconfiture des partis libéral, bloquiste et du NPD serait totale et ils auraient des comptes à rendre, 300 M $ de dépenses électorales plus tard, à leur base respectives et au payeur de taxe.
Comme nous voilà coincés avec un psychodrame que nous n’avons pas choisi, autant en faire notre profit et nous interroger, au cas où notre choix était fait d’avance, sur nos motivations et, surtout, sur celles de notre candidat favori. Le diable reste toujours le meilleur des avocats et, compte tenu du nombre élevé d’indécis révélé par les sondages, cet exercice pourrait s’avérer salutaire. De toute façon, quel que soit votre choix, il sera nécessairement douteux, vu la brochette de candidats, mais au moins, vous pourrez expliquer les raisons de votre décision.
En commençant par le moins dangereux…
Examinons les partis en course, du plus inoffensif au plus redoutable. D’abord, Mme May, du parti vert. Voilà, c’est fait. Ma tante Mimi est aussi sympathique qu’elle, mais je ne la vois pas décider des destinées du pays. Tout puissant au Québec, le Bloc est bien sûr absent du reste de la scène fédérale, ce qui lui donne un curieux statut de parti semi-inoffensif, mais Stephen Harper lui doit néanmoins de ne pas avoir pu arracher un mandat majoritaire en 2008 grâce au poids démographique du Québec. Souvenons-nous cependant de l’entêtement du premier ministre à maintenir les coupures de programmes culturels et le durcissement annoncé de la Loi aux jeunes contrevenants. Jusqu’à quel point le Bloc a-t-il joué de son rayonnement ou Harper de maladresse stratégique à cette occasion ?
Le Bloc s’est vu reprocher sa responsabilité dans le renversement de l’actuel gouvernement, ce qui alimente, malgré sa popularité, une perception d’opportunisme, chez ses détracteurs. Sa position, sur les enjeux liés aux accommodements raisonnables, question sensible au Québec, est aussi claire que celle d’Amir Khadir qui affirmait, lors de l’annonce du projet de loi 94 sur le port du niqab, que c’était la bonne chose à faire, pour conclure, lors de son dépôt, que le gouvernement Charest avait manqué une belle occasion d’affirmer la nécessité d’une société laïque. Bénéficiant lui aussi de la popularité de celui qui ne sera jamais au pouvoir, Gilles Duceppe a affiché, selon les circonstances, une certaine tolérance aux accommodements, récemment de passage au Saguenay, une certaine tolérance à la prière de Jean Tremblay, et il affichera probablement aussi une certaine tolérance envers une société laïque séparant clairement la religion de l’État. Alors, est-ce assez clair pour vous ?
Moi aussi, j’aimerais bien prendre une bière avec Jack Layton, mais je suis toujours surpris de l’idée fixe d’un parti de gauche de pouvoir augmenter les impôts des grandes entreprises, cette fois à 19,5 %, soit trois points de plus, sans risquer un exode de celles-ci vers les pays de l’Asie ou de l’Amérique du Sud, où la main d’œuvre ne coûte rien et les contraintes environnementales demeurent symboliques. M Layton n’a-t-il pas entendu parler d’une crise manufacturière et des pertes d’emplois massives qui s’en sont suivies ? Si une solution aussi simple pouvait renflouer notre déficit sans dommages collatéraux tout en gagnant des votes, croyez-vous qu’elle n’aurait pas été envisagée ?
Parmi les inoffensifs, j’aurai plus classer Ignatieff en début de liste, mais les intentions de vote nationales le place néanmoins au deuxième rang, alors… Le chef du parti libéral n’a pas réussi à prouver qu’il pouvait devenir davantage qu’une version un peu plus présentable de son prédécesseur, Stéphane Dion. Aussi froid, cérébral, d’apparence aussi déconnectée que lui, « Iggy » ne passe pas, comme en témoigne, sondage désastreux après sondage calamiteux, la perception populaire. Il faut dire que le scandale des commandites a laissé un trauma durable dans les esprits qui contredit le vieil adage selon lequel la mémoire de l’électeur n’a que six mois. Fidèle à la tradition libérale, il attaque davantage le programme de son adversaire qu’il n’expose le sien.
Le redoutable Stephen Harper
Stephen Harper, premier ministre sortant, reste à plus d’un titre le candidat le plus redoutable. D’abord, il est au pouvoir, ensuite, il pourrait y devenir majoritaire et, d’une façon comme d’une autre, il restera premier ministre. De l’avis de plusieurs, le chef conservateur est son meilleur allié et son pire ennemi. Il suscite une ambivalence certaine chez l’électorat et, probablement, chez sa base électorale. En effet, parmi celle-ci, il s’en trouvera pour le féliciter d’avoir duré cinq ans, et peut-être plus, tout en restant minoritaire. Il s’en trouvera d’autres pour questionner le fait qu’en trois élections en cinq ans, Harper n’ait pas réussi à arracher de majorité, ce qui pourrait bien arriver, tant il effraye en Ontario, au Québec, dans les Maritimes et jusqu’en Colombie-Britannique. Une telle performance en l’absence d’adversaires vraiment menaçants aggraverait son cas.
Au Québec, où nous aimons avoir le beurre, l’argent du beurre et le cul de la laitière, nous ne semblons pas avoir compris à quel point nous sommes devenus dépendants du système fédéral, ne serait-ce que par les transferts de péréquation qui s’élèvent à 8 G $, dont une large part provient de l’Alberta et de ses sables bitumineux. Il est loin le temps où le Québec contribuait aux paiements de la péréquation. Dans une telle perspective, il est difficile d’envisager, à court ou à moyen terme, un Québec indépendant et économiquement viable. Bon point pour Harper : il est loin d’afficher envers le Québec l’arrogance méprisante d’un Jean Chrétien et a fait l’effort d’un premier règlement du déséquilibre fiscal au montant de 750 M $, aussitôt engloutis en baisses d’impôts par Jean Charest. Harper a dû se sentir « baisé » et bien ridicule aux yeux du ROC. Son enthousiasme sera plus tiède par la suite.
L’homme projette par contre l’image d’un être obstiné, autocratique. Toutes les associations de journalistes du pays ont fait front contre lui pour dénoncer sa mainmise sur l’information. Les dépenses militaires du Canada, qui représentent maintenant le 13e plus imposant budget militaire, ont grimpé en flèche pour atteindre 21,19 G $. L’absence de politique environnementale crédible, l'engagement du Canada en Afghanistan, l'entêtement à ne pas rapatrier Omar Kadr, malgré une bataille judiciaire sans cesse perdue au frais du contribuable, les abus de pouvoir policier du sommet du G-20 de Toronto, la perte de prestige du Canada aux yeux de l'opinion internationale, le durcissement des lois, l’intérêt non dissimulé vers la construction de méga-prisons ainsi que l’abolition envisagée du registre des armes à feu constituent autant de sujets de litige qui divisent le pays.
Voter dans un tel contexte, en connaissance de cause, et après avoir examiné le pedigree de chaque parti ne s’annonce pas si simple mais demeure un exercice nécessaire. Au Québec, malgré une remonté éphémère du NPD, le Bloc ressortira probablement vainqueur. La question fondamentale demeure la suivante : gagnera-t-il parce que les Québécois y voient toujours une voix qui défend leurs intérêts à Ottawa, ou parce qu’ils craignent la montée d’un gouvernement conservateur majoritaire ? Poser la question...
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6 commentaires
Olivier Kaestlé Répondre
15 avril 2011Moi aussi, Roger, je trouve ces propos assommants. D'abord, il existe un désintérêt actuel de la population pour la question de la souveraineté. Les gens restent davantage préoccupés par l'effritement de leur pouvoir d'achat, l'augmentation de leurs taxes, directes ou indirectes, la diminution de leurs services et l'incertitude économique qu'ils traversent. Leur proposer avec insistance la souveraineté dans un contexte aussi calamiteux est aussi pertinent que d'offrir une robe du soir à une femme qui souffre d'insécurité alimentaire. Elle n'en a rien à cirer.
Ensuite, dans l'état où se trouve nos finances publiques, et compte tenu de l'incapacité chronique de nos dirigeants à les gérer correctement, ajouté au fait qu'un dollar fort a mis la pagaille dans notre économie, je me demande bien ce que nous deviendrions sans les transferts de péréquation. La vérité, c'est que nous ne sommes plus autonomes économiquement, comme nous l'étions au tant où nous contribuions à ladite péréquation, et il y a lieu de nous interroger sur les moyens de regagner cette autonomie (pas au sens adéquiste de ce terme, on se comprend) avant de songer à devenir un état souverain. Il me semble que les convictions souverainistes doivent rester compatibles avec un certain pragmatisme.
Roger Kemp Répondre
15 avril 2011Salut Olivier
Ce qui m'exaspère dans les propos des gens, c'est quand on mentionne que le Bloc ou le Parti Québécois selon la scène électorale visée, qu'il ne parle pas assez de souveraineté.
Ce qui me titille dans cette affirmation faite, c'est que j'ai l'impression qu'ils ne lisent pas les mêmes journaux que moi, ne regardent pas les mêmes émissions de télé que moi, n'écoutent pas la même radio que moi Sur quelle planète vivent ces personnes pour penser que le BLOC n'est pas souverainiste, que le PARTI QUÉBÉCOIS n'est pas souverainiste.
Moi-même je suis souverainiste et lorsque je discute avec des gens, je n'ai pas besoin de leur parler à tout instant de souveraineté. J'ai participé à tous les Conseils Nationaux des Présidents et présidentes du PQ au cours de la dernière année et à toutes les fois madame Marois a parler haut et fort de souveraineté. J'ai assisté à plusieurs conférences où Gilles Duceppe a pris la paroles et à chaque fois il a parlé de souveraineté.
J'ai plus l'impression que les gens qui affirment ces choses veulent justifier leur vire capot et pourquoi ils ont voté QS ou ADQ.
Olivier Kaestlé Répondre
14 avril 2011À Maïkan (le commentaire précédent s'adressait à Jacques Noël),
Je partage votre scepticisme envers le Bloc, mais moi aussi, je voterai encore pour lui, ne serait-ce que pour nous soustraire à l'emprise d'un gouvernement conservateur majoritaire. Je crois de plus en plus que le choix d'un gouvernement réside entre le pire et le moins pire. Qu'il est loin, mon enthousiasme au soir du 15 novembre 1976...
Olivier Kaestlé Répondre
14 avril 2011Notez que je n'ai jamais dit que la contribution de l'Alberta aux transferts de péréquation dont le Québec bénéficie était majoritaire. Bien qu'importante, elle représenterait environ 1,56 G $ sur les 8 G $ encaissés.
Autre détail important qui ne signifie pas que cette province soit notre sauveur, loin de là. La valeur de notre devise est déterminée par nos revenus pétroliers auxquels contribue fortement l'exploitation des sables bitumineux. Cette exploitation a entraîné un dollar canadien fort depuis 2003 et, selon Jean-François Lisée, une perte de 55 000 emplois manufacturiers en cinq ans. Pire encore, le solde commercial du Québec serait passé, entre 2002 et 2008 d'un surplus de 4 G $ à un déficit de 21 G $, à cause de ce dollar trop fort.
On pourrait envisager la contribution à la péréquation de l'Alberta presque comme des dommages compensatoires, mais allez donc trouver un motif légal, sinon économique ou environnemental, de stopper cette province dans un contexte de libre marché. Reste à savoir par ailleurs comment un Québec indépendant s'en tirerait dans un contexte aussi calamiteux. Pas évident comme conjoncture...
Archives de Vigile Répondre
14 avril 2011Pour ma part je suis dans l'obligation de me ranger vers le Bloc, malgré que j'ai de sérieux doutes...En tant que séparatiste, je prie pour qu'un référendum puisse avoir lieu le plus tôt possible...mais on a plus les patriotes qu'on avait!
Archives de Vigile Répondre
14 avril 2011La péréquation ne vient pas de l'Alberta, encore moins des sables bitimineux! C'est une légende urbaine inventée par André Platte et Éric Duhaimepas
Mais les Feds ont tellement bien manoeuvré dans ce dossier, et le Pq et le Bloc ont tellement dormi, que la plupart des Québécois pensent comme vous. C'est désolant mais c'est ce qui arrive lorsqu'on élit 100 députés souverainistes qui refusent de parler de souveraineté.
http://www.vigile.net/Le-mythe-du-Quebec-pauvre-7