Figure emblématique du féminisme radical québécois, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) pourrait voir maintenue la décision du gouvernement Harper de supprimer cette année sa subvention de 240 000 $, représentant 40 % d’un budget annuel de 650 000 $. Le couperet est tombé le 31 mars dernier alors qu’Ottawa précisait qu’il cesserait de financer les groupes de défense de droits afin de privilégier l’aide directe aux clientèles. En clair, ça signifie que l’argent prévu aux groupes de femmes sera distribué différemment, et non que le budget global qui leur est alloué sera diminué.
Accusée d’abandonner la FFQ alors qu’elle avait soutenu en 2008 les artistes à la suite des coupures du fédéral dans la culture, Christine St-Pierre, ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, a expliqué que les artistes avaient alors subi une suppression pure et simple de programmes fédéraux qu’il lui avait fallu compenser, tandis que l’argent dévolu à la Condition féminine sera administré différemment. « Ils ont changé les critères, devait-elle ajouter, À partir du moment où les décisions sont prises, ce qui est important, c’est qu’on ait notre part. (…) La façon dont le fédéral le présente, c’est qu’ils disent qu’ils ne veulent pas que ce soit toujours les mêmes qui aient l’argent. »
Boudée par Ottawa et larguée par Québec, la FFQ, qui semblait régner sans partage jusqu’ici sur les groupes de condition féminine, a présenté une nouvelle demande à Ottawa, mais rien ne garantit qu’elle aboutira. Que l’on aime ou pas Stephen Harper, et dans la mesure où il a pu être partie prenante dans cette nouvelle orientation spectaculaire, force est de lui reconnaître la qualité du défaut ou le défaut de la qualité : une fois une décision prise, l’homme ne change pas facilement d’avis. Du côté de Québec, aucun son de cloche du Conseil du statut de la femme sur la question, d’autant plus épineuse que cet organisme a été créé en 1973 sous les pressions mêmes de la FFQ. Mais comment expliquer qu’un regroupement aussi puissant et influent puisse du jour au lendemain voir son avenir ainsi menacé ?
Vox populi…
C’est un fait connu que les gouvernements dirigent selon les sondages. Quand il ne s’agit pas de sondages formels, des conseillers politiques, à l’affût de l’actualité, influent sur les décisions de nos élus. De dirigeants, ces derniers deviennent alors dirigeables. Or, de plus en plus, dans un contexte de turbulences économiques, le soutien financier alloué à des organismes dont la légitimité et la pertinence appartiennent à une époque révolue est questionné. Le contraire serait anormal.
Et ça, c’est sans compter le financement de structures qui n’ont jamais bénéficié d’une grande ferveur populaire. Il suffit de mentionner les commissions scolaires et les agences de santé et de services sociaux pour s’en convaincre. Le contribuable québécois, toujours davantage pressurisé, n’admet plus les dépenses à fonds perdus qui semblent davantage favoriser le maintien à l’emploi de bureaucrates qu’une saine gestion des services publics. Les parachutes dorés accordés récemment, entre autres, à des ex-rectrices à la compétence questionnable de McGill et Concordia, a contribué à l’augmentation du cynisme populaire, surtout quand l’État annonce une hausse des frais de scolarité.
C’est dans ce climat d’exaspération populaire où la classe moyenne comprend nettement que c’est encore elle qui devra fournir l’essentiel de l’effort de guerre dans la lutte au déficit, que le financement de certains groupes à la vocation sociale devenue abstraite, comme les groupes de condition féminine, constitue un irritant supplémentaire.
Une pente descendante
Après les passages remarqués de Françoise David et de Viviane Barbot à la présidence de la FFQ, l’arrivée de Michelle Asselin ne devait pas modifier l’image de l’organisme pour le mieux. Cette femme peu charismatique allait multiplier les prises de position maladroites, qu’il s’agisse de dénoncer l’ostracisme qui guettait selon elle les blondes, la « nécessité » d’investir des millions sur plusieurs années en campagnes contre la violence faite aux femmes, ou la réprobation acrimonieuse de l’initiative d’une école secondaire montréalaise d’organiser une journée spécifique pour motiver les garçons avec des activités sur mesure pour eux. La sortie de Mme Asselin lui avait d’ailleurs valu une volée de bois vert dans les tribunes d’opinion.
À tort ou à raison, c’est elle que l’on a rendue responsable de la résolution tant controversée de la FFQ de s’opposer à l’interdiction des signes religieux visibles dans la fonction publique, alors que 60 % de la population québécoise s'objectait aux accommodements raisonnables, selon un sondage Léger-Marketing. Dans un moment d’étourderie, Mme St-Pierre devait appuyer ladite résolution, désavouant par le fait même l’avis de son Conseil du statut de la femme, qui prônait énergiquement l’interdiction des signes religieux. Djemila Benhabib, auteure féministe de Ma vie à contre-Coran, devait condamner avec force la prise de position de la FFQ, allant même jusqu’à reprocher à la Fédération de trahir la cause des femmes et de jouer le jeu des lobbys islamistes. Le moins que l’on puisse dire est que l’organisme fondé en 1966 par Thérèse Casgrain n’avait pas favorisé l’unité parmi les féministes.
À peine élue présidente, Alexa Conradi devait affronter une crise de taille avec la chancelante marche de femmes de l’automne dernier, dont la publicité condamnant l’engagement du Canada en Afghanistan avait déclenché une vague de colère qui devait largement dépasser cette question. Se faisant l’écho des citoyens et citoyennes dits ordinaires, plusieurs commentateurs allaient ni plus ni moins remettre en question la raison d’être même de l’organisme, sa représentativité et la légitimité de son financement. Elle était loin l’époque des marches solidaires organisées par Françoise David ! Comme si la FFQ tenait à se tirer davantage dans le pied, la poussière n’était pas sitôt retombée qu’elle s’attirait à nouveau les foudres du public en revendiquant le droit des femmes musulmanes de porter le niqab dans les garderies familiales, au mépris même de l’impact d’un tel accoutrement sur les petits enfants.
Un signe des temps
Difficile de ne pas voir dans la somme de tant de maladresses accumulées la cause d’un désintéressement étatique tant fédéral que provincial envers la FFQ, si imposante soit-elle. Mais ce n’est peut-être que l’amorce d’une plus vaste tendance. La décision de la ministre St-Pierre de préférer financer les Forums jeunesse plutôt que le Réseau des tables régionales des groupes de femmes du Québec, pour ce qui est de projets d’égalité, indique une volonté de s’écarter des structures « traditionnelles » en condition féminine. L’image de prédatrices de subventions leur colle peut-être un peu trop à la peau.
Qui sait si cette perception de plus en plus répandue n’est pas à l’origine de la diminution draconienne du budget du Secrétariat à la condition féminine qui passera de 7,7 M $ en 2010-2011 à 3,2 M$ en 2011-2012. Il est bien sûr déplorable que de telles annonces puissent menacer des emplois, avec tout ce qu’implique une telle réalité sur des salariées et leurs familles. Il s’agit cependant de signes annonciateurs que le mouvement de changement qu’a été jusqu’ici le féminisme contemporain a peut-être fait son temps, au Québec à tout le moins, sinon ailleurs, et que le moment est venu de passer à une façon plus globale d’atteindre une réelle égalité, empreinte cette fois de réciprocité et d’une plus grande justice sociale.
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