Élections 2018: la bataille de Québec

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Le danger pour le PQ, ce n'est pas QS : c'est la convergence de l'électorat libéral et caquiste

Ils sont une vingtaine sur le parvis de l’église Saint-Jean-Baptiste, dans le quartier pentu du même nom, en plein coeur de la ville de Québec. L’hiver s’accroche et le petit groupe — tous des jeunes de plus ou moins trente ans — se sépare en binômes pour distribuer des tracts bordés du logo de Québec solidaire (QS).


Les résidents qui ouvrent les portes ouvragées des habitations, contiguës, se laissent pour la plupart convaincre de fournir adresse, courriel et numéro de téléphone dès que la candidate solidaire dans Taschereau, Catherine Dorion, déclare que la pétition qu’elle tient entre les mains sert à offrir une assurance dentaire publique et universelle. À ceux qui réclament (un peu) plus d’explications, la jeune femme issue du milieu du théâtre déclare que « c’est comme si les dents ne faisaient pas partie du corps ».


Et c’est le plus souvent aussi simple que cela. « QS », note Émile Perreault, du comité de coordination du parti, lorsque ceux qui ont ouvert la porte se montrent franchement favorables aux idées avancées par son tandem. Au rythme où vont les choses, ce soir-là, on croirait que les solidaires prêchent au beau milieu d’une terre de convertis. Après tout, même l’animateur de radio Éric Duhaime a déjà donné Taschereau à Québec solidaire…


Le mythe d’Agnès Maltais


Dans son bureau de l’Assemblée nationale, la députée sortante de Taschereau, Agnès Maltais, réfute les prétentions de ses adversaires avec aplomb. « Moi, défaire les mythes, ça me fait plaisir, lance-t-elle avec audace. Depuis 1994 — avant moi —, Taschereau est au PQ, et son vote est extrêmement stable. Mais le spin a toujours été que ça partirait, que tout le monde peut gagner », déclare celle qui a quitté le monde du théâtre pour embrasser celui de la politique en 1998.


Si cette tête forte péquiste compte s’impliquer jusqu’au jour du vote, elle ne se dit pas inquiète de voir sa circonscription tomber dans les mains d’un autre parti. D’autant que le PQ a dans sa mire une « candidature importante », insiste-t-elle sans donner plus de détails. Le nom de l’ex-chef péquiste Pierre Karl Péladeau circule dans les milieux politiques. Mais « le principal intéressé dément cette rumeur », a écrit le président et chef de la direction de Québecor dans un courriel transmis au Devoir.


Depuis 20 ans, Agnès Maltais est toujours parvenue à arracher Taschereau, qui a en effet pris des airs de village gaulois. Sur les sites étalant les prévisions pour le scrutin d’octobre 2018, la circonscription est encore un point d’interrogation.


Un vote stable, mais…


Dans Taschereau — et même en 2014, quand Agnès Maltais a emporté l’élection avec une mince marge de 451 voix —, le vote péquiste est resté stable au fil des ans. D’une élection à l’autre, ils sont environ 12 000 à voter bleu, fait remarquer la députée sortante, en encerclant les chiffres sur des pages qu’elle a pris soin d’imprimer avant l’entrevue. Le réel danger, selon elle, ne vient pas de Québec solidaire — « ce n’est pas du nouveau pour nous, Catherine Dorion, c’est sa troisième[campagne], ce sera sa troisième défaite », lance Agnès Maltais —, mais plutôt des vases communicants entre le Parti libéral du Québec (PLQ) et la Coalition avenir Québec (CAQ). Si le vote du premier (11 000 voix en 2014) est transféré au second (6000 voix en 2014), le traditionnel vote péquiste s’en trouvera surpassé. Et vice versa.


Parce que voilà : le raz-de-marée caquiste annoncé dans la région de Québec se bute aussi au candidat libéral Florent Tanlet, attaché de presse de la ministre du Travail, Dominique Vien. C’est lui qui est passé tout près de coiffer Agnès Maltais au fil d’arrivée en 2014 ; dans une circonscription qui concentre les organismes citoyens et communautaires et qui a été le bastion de la révolte étudiante de 2012 dans la ville de Québec. L’autoproclamé « monsieur Bonheur » à l’allure soignée a 32 ans, « bientôt 33 ». Il est Français d’origine, s’est fait construire avec son conjoint une maison dans le quartier Saint-Sauveur — « avec ma terrasse sur le toit [parce que] c’était primordial pour faire mon agriculture urbaine » — et se présente comme un candidat de gauche.


Libéral, mais à gauche


Autour d’un café, après des tentatives timides de serrer des mains dans un événement organisé par la Société de développement commercial du quartier Saint-Sauveur, il s’efforce de faire valoir sa singularité, mais ne peut s’empêcher de défendre les principes de la « ligne de parti », sans laquelle régnerait selon lui « l’anarchie ». « Moi qui suis — et je n’ai pas honte de le dire — très social-démocrate, je trouve que c’est ce qui fait la force d’un parti, je pense, de dire : il y a des libéraux purs et durs, très à droite, côté économique, et il y en a d’autres, dans un même parti, qui sont plus à gauche. On tire notre épingle du jeu », assure-t-il. Au sein du PLQ, il dit trouver des alliés « de gauche » en Stéphanie Vallée, François Blais, Hélène David ou Dominique Vien.


Agnès Maltais n’y croit pas. « Un élu peut influencer un parti, mais un élu ne peut pas être à l’encontre de son parti. Or, le Parti libéral, c’est le parti de l’austérité. C’est marqué dans la tête des gens », tranche-t-elle.


Le jeune candidat ne se laisse pas démonter. « Votez pour les meilleures plateformes, pour celui qui vous fait le plus rêver, qui peut avancer les enjeux », suggère-t-il plutôt. Catherine Dorion, artiste engagée et ex-candidate d’Option nationale, fait aussi le pari de refuser la politique de type « combat de gladiateurs » pour plutôt… faire rêver les électeurs. « On ne veut plus entendre des niaiseries, que les enjeux soient sur la surface. On veut aller au fond. Pourquoi on est sur Terre, où s’en va le monde, vers où on voudrait que ça aille, qu’est-ce qu’il faut faire, c’est quoi les blocages ? » répond-elle dans une tirade, quand on lui demande de quoi lui parlent les gens sur le terrain. Florent Tanlet est plus pragmatique. « Transport en commun et mobilité », « aide aux plus vulnérables » et « attraction des immigrants », répond-il quand on lui pose la même question.


Une circonscription changeante


Sur le dernier enjeu, le candidat libéral rejoint Agnès Maltais, qui cite « les problèmes d’immigration » comme le dossier l’occupant le plus. Quand elle est arrivée, elle devait composer avec des « dossiers d’aide sociale, de gens qui avaient des problèmes de logement ». « J’ai rempli des frigidaires », lance-t-elle, en se félicitant d’avoir vu le taux de pauvreté chuter de 8 à 4 % en 20 ans. Sauf que sa circonscription a changé. Non seulement le quartier Saint-Roch s’est-il embourgeoisé pour devenir le « Nouvo St-Roch », le redécoupage électoral de 2011 a aussi écarté une portion des secteurs défavorisés de Vanier et de Limoilou pour plutôt intégrer les Montcalm et Saint-Sacrement, plus aisés. En cinq ans, le revenu moyen s’y est trouvé augmenté de près de 10 000 $. Les enjeux s’en trouvent-ils aussi modifiés ? Non, répond Sébastien Bouchard, candidat solidaire défait dans Jean-Lesage, où Sol Zanetti brigue désormais les suffrages. « Les profils de personnes qui vont viser le retour ou le maintien au centre-ville [sont] des personnes souvent plus progressistes, favorables à un vote plus progressiste », remarque-t-il.


Et ces « progressistes » débordent dans la circonscription voisine de Jean-Lesage, à laquelle appartient désormais l’effervescent quartier Limoilou. « Je vais mettre des nuances pour le comté de Jean-Lesage où il y a une moitié urbaine, plus progressiste [Limoilou], et une moitié de type banlieue nord-américaine, qui est moins progressiste [Beauport]. On voit une fracture du vote », poursuit Sébastien Bouchard.


Jusqu’ici, la brisure a surtout favorisé le libéral André Drolet, élu lors des trois dernières élections. En février, l’homme d’affaires a annoncé qu’il quittait la vie politique. Avec sa candidate Christiane Gamache, la CAQ dit faire bien peu de cas de la fracture Limoilou-Beauport. « Il y a un enjeu important, qui est la pauvreté », dit la femme issue du milieu de l’éducation, qui habite la circonscription. 


> La suite sur Le Devoir.



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